PARIS
L’importante restructuration du musée d’histoire parisienne offre une modernisation discrète et une muséographie qui se veut adaptée à tous les publics.
Paris. Il y a 625 000 œuvres dans les collections du Musée Carnavalet, mais la première, et certainement la plus importante, est le bâtiment en lui-même. Constitué de l’hôtel Carnavalet, précurseur du modèle canonique « entre cour et jardin », de ses extensions et de l’hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau, le lieu raconte un pan de l’histoire parisienne qui s’étire du XVIe siècle, et son essor des hôtels particuliers, à l’héritage haussmannien du début du XXe siècle. Voilà qui explique la devise de François Chatillon durant les quatre années de restauration : « Tout changer pour ne rien changer. » Associé au cabinet norvégien Snøhetta (connu pour ses réalisations comme le siège du Monde) et à l’agence NC pour la scénographie, l’architecte en chef des Monuments historiques a mené une restructuration qui se fond dans l’histoire pluriséculaire du musée.
Lorsque le musée ferme ses portes en octobre 2016, c’est d’abord pour remettre les lieux aux normes de sécurité. À cette mise à niveau indispensable pour un établissement accueillant un million de visiteurs chaque année, s’ajoute la volonté de rafraîchir l’accrochage et surtout de rationaliser l’immense parcours du musée, s’étalant sur une centaine de salles. Le cheminement y était alors labyrinthique, réparti entre les deux hôtels particuliers séparés par le lycée Victor-Hugo, et reliés par une coursive. « La commande de la Ville, c’était une restauration partielle », rappelle François Chatillon.
Le premier changement se fait dès l’accueil des visiteurs, qui retrouve le porche originel de l’hôtel Carnavalet. L’entrée du musée s’ouvre de manière spectaculaire sur les reliefs de Jean Goujon qui ornent le second niveau de l’hôtel et le Louis XIV d’Antoine Coysevox, qui trône au milieu de la cour. À droite, les anciennes écuries grandes ouvertes à la lumière font désormais office de billetterie et le prolongement du pavement jusque dans cet espace d’accueil rappelle l’utilisation première du lieu. Une intervention patrimoniale permise par le recours à des filtres lumineux et d’éclairage doux à la LED, rappelle Valérie Guillaume, directrice du musée. « Nous avons effacé les interventions du XXe siècle, explique-t-elle. Dans les années 1980, beaucoup de boîtes dans la boîte ont été installées. »
La restauration rend visible toutes les structures des bâtiments hétérogènes qui composent le musée, quitte à décontenancer le visiteur. « On a voulu ne jamais finir sur une boîte blanche, faire en sorte que le bâtiment soit toujours présent, même quand c’est assez brutal », précise François Chatillon. Cette mise en valeur a aussi sollicité un important travail de dissimulation des conduites d’aération et du système électrique, invisibles le long du parcours. Dans la cour des drapiers, des éléments architecturaux de Paris sont intégrés au musée construit au début du XXe siècle, comme l’arc de Nazareth prélevé à la fin du XIXe siècle sur l’île de la Cité. Ici, la restauration discrète valorise le sentiment d’unité, tandis que les nuances de gris des huisseries différencient les constructions modernes et les pièces prélevées dans le Paris médiéval.
Seuls trois escaliers alliant le bois au métal s’affirment comme éléments de modernité : partout ailleurs, le bâtiment originel a été respecté, même dans ses excès décoratifs. « On a échappé au réflexe du chantier de musée où l’on pose une verrière, on creuse un sous-sol. C’est une démonstration d’architecture moderne et frugale à la fois », soutient François Chatillon.
Cette rénovation n’a pas cédé à la tentation du fameux « exposer moins pour exposer mieux ». Avec un accrochage totalement repensé (60 % des objets exposés ne l’étaient pas à la fermeture), le nouveau parcours assume le parti pris d’une exposition permanente pléthorique, qui se développe désormais jusque dans le sous-sol (avec les lapidaires et quelques découvertes archéologiques majeures). « C’est un accrochage qui combine tous les types d’œuvres, souligne Valérie Guillaume. Cette diversité, c’est ce qui fait le caractère unique de Carnavalet, il fallait continuer dans cette direction-là pour un parcours original. » Le musée compte ainsi 184 vitrines au lieu d’une quarantaine avant rénovation, des vitrines conformes aux exigences de la conservation préventive, avec système climatique intégré : « On est passé de rien à la technologie du XXIe siècle », se félicite la directrice.
Spécialités du Musée Carnavalet, les period rooms demeurent telles quelles. Certaines ont même gagné un espace plus conforme à la disposition initiale des boiseries, comme le décor du salon de la compagnie de l’hôtel d’Uzès par Claude-Nicolas Ledoux. Dans un autre décor reconstitué de Ledoux, une lucarne a même été percée entre la cloison factice et le mur du bâtiment, pour bien faire comprendre au visiteur que ces boiseries adaptées aux salles de l’hôtel Carnavalet sont des pièces de la collection comme les autres.
Musée dans le musée, la collection consacrée à la Révolution reste la séquence la plus roborative du parcours, avec un accrochage qui entre parfois en conflit avec la volonté de faire pénétrer la lumière, développée par l’architecte partout ailleurs. Le parcours s’achève sur de nouvelles salles consacrées à l’histoire moderne de la capitale. On retrouve ainsi une maquette de la Zone, bidonville du début du XXe siècle, une autre de l’échangeur de La Chapelle, ainsi que plusieurs évocations photographiques des drames récents : attentats de 2015 et incendie de Notre-Dame de Paris.
Dernier point essentiel de la rénovation, la fluidification du parcours – notamment par des ascenseurs – qui devrait permettre au musée de doubler ses capacités d’accueil de visiteurs. En comblant quelques carences, sur Haussmann et la tour Eiffel par exemple, le musée attirera sûrement le public touristique. Mais l’effort de la médiation pour proposer un contenu adapté à tous les publics vise bien plus large. Différents degrés de lecture sont proposés dans chaque salle, du plus simple, avec des cartels et des œuvres « à hauteur d’enfant », aux approfondissements destinés aux visiteurs attentifs, nichés dans des tiroirs sous les vitrines. L’accessibilité pour tous a également été l’un des aiguillons de cette restructuration : 99 % du parcours est désormais accessible aux personnes en situation de handicap. Un tour de force dans ce « mille-feuille patrimonial ».
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Le Musée Carnavalet rouvre après quatre ans de travaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Le Musée Carnavalet rouvre après quatre ans de travaux