NEW YORK / ETATS-UNIS
Face à l’urgence, les expositions sur la crise climatique se multiplient aux États-Unis dans les institutions scientifiques et technologiques. Même les musées d’art se lancent dans la bataille.
Comme de nombreuses personnes dans le monde, Karl Kusserow s’inquiète de la crise climatique. Conservateur au Musée d’art de Princeton (New Jersey), la célèbre université, ce natif de l’État rural du Vermont (nord-est des États-Unis) a décidé de passer à l’acte. En 2011, il a commencé à travailler sur une ambitieuse exposition nommée « Nature’s Nation » (« La nation de la Nature »), qui a rassemblé plus de 120 œuvres (peintures, dessins, vidéos, sculptures…) datant du XVIIIe siècle à nos jours. À travers des représentations de fleuves, de cascades et de paysages américains divers, allant des parcs de l’Ouest au « Dust Bowl » (région du sud des États-Unis connue pour ses tempêtes de poussière), l’exposition visait à mettre en avant l’impact funeste de l’Homme sur les écosystèmes.
Vue par plus de 150 000 personnes, l’exposition a fermé ses portes en septembre après avoir voyagé au Peabody Essex Museum de Salem dans le Massachusetts (nord-est des États-Unis) et au musée d’art contemporain Crystal Bridges à Bentonville dans l’Arkansas (Sud). « Au début de l’art américain, la nature paraissait immuable, parfaitement ordonnée. Puis, à partir de la révolution industrielle du XIXe siècle, on a commencé à voir la marque des humains. Cette exposition nous rappelle que nous sommes les conducteurs de la planète mais que nous ne la conduisons pas très bien », résume Karl Kusserow.
« Nature’s Nation » fait partie des nombreuses expositions sur le climat à avoir été présentées aux États-Unis en 2019, signe d’un nouvel appétit des musées américains pour le sujet et d’un regain d’activisme de la part de leurs conservateurs. La New-York Historical Society, consacrée à l’histoire de New York, a mis sur pied une exposition, « Hudson Rising », portant sur les transformations du fleuve Hudson et l’éclosion des mouvements écologistes locaux. Au centre du pays, le Musée d’art de l’Université du Colorado, à Boulder, a inauguré en février une exposition de peintures et de photographies scientifiques représentant les paysages changeants de l’Amérique. À cela se sont ajoutés les expositions et programmes des musées d’histoire naturelle et des institutions scientifiques et technologiques.
« Il y a un an et demi, j’aurais pu compter les expositions sur le climat sur les doigts de la main. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Le nombre de musées qui s’intéressent de manière consciente au sujet est en forte augmentation, même s’il en faudrait toujours plus », affirme Miranda Massie, une ancienne avocate qui dirige le Climate Museum, seul musée consacré au climat aux États-Unis. En attendant de se doter d’un espace physique, ce Musée du climat organise des expositions et des performances à travers la ville de New York. « Les musées sont vus comme des espaces de confiance. Ils sont capables de dépasser le militantisme pour toucher le grand public. »
Jusqu’à présent, le changement climatique était peu ou mal abordé outre-Atlantique. Les raisons vont de la nature même du sujet, complexe et mouvant, à la difficulté de trouver le ton approprié pour le présenter. En 2008, « Climate Change », une exposition de l’American Museum of Natural History (New York), sur la menace climatique, avait été vertement critiquée par le New York Times pour avoir été trop alarmiste.
Les musées scientifiques et technologiques, en première ligne dans l’explication du phénomène au grand public, ont parfois été accusés de privilégier les intérêts de leurs donateurs pollueurs plutôt que la réalité scientifique. Et ce, alors qu’un sondage réalisé en 2010 par l’université de Yale (New Haven, Connecticut), pionnière dans l’étude de la perception du climat dans l’opinion, montre que les visiteurs de telles institutions leur font davantage confiance qu’à d’autres corps (médias, scientifiques, famille et amis…) pour s’informer sur le sujet. En 2012, le Perot Museum of Nature and Science de Dallas (Texas) s’est ainsi retrouvé au centre d’une polémique car sa nouvelle aile dévolue aux sciences, financée à hauteur de 10 millions de dollars par une filiale du géant pétrolier Exxon, était en grande partie consacrée à la fracturation hydraulique et omettait de parler des risques associés à cette technique de forage très consommatrice en eau. D’autres institutions situées ailleurs au Texas et dans le Dakota du Nord, États riches en ressources énergétiques, soutenues par des acteurs du secteur, ont connu des polémiques similaires.
À New York, le Musée américain d’histoire naturelle a été la cible en 2018 de critiques quand une économiste de l’environnement, lors de sa visite, a tweeté la photo d’un panneau de salle relativisant l’impact de l’Homme sur les « cycles climatiques ». Si le musée a indiqué dans un communiqué que le texte n’avait pas été mis à jour depuis l’installation du panneau en 1993, l’épisode a relancé le débat sur les liens entre l’institution et les milliardaires climato-sceptiques David H. Koch et Rebekah Mercer, soutiens financiers du musée.
Il faut enfin relever la crainte de la réaction du public dans un pays où le changement climatique reste clivant sur le plan politique. Si une majorité d’Américains, démocrates comme républicains, s’accorde désormais sur la réalité du phénomène, 79 % des premiers pensent que l’Homme en est le responsable principal contre 35 % des seconds, selon un sondage de Yale University en 2018. Pour Patrick Hamilton, qui supervise les initiatives environnementales du Science Museum du Minnesota, État rural du centre des États-Unis, les musées « surestiment l’aspect polarisant du changement climatique » : « Certains ont peur de s’exposer aux critiques et s’autocensurent. Ils se replient dans des expositions scientifiques qui n’ont pas de lien avec le climat. Or, nous avons le devoir en tant que musée d’informer nos citoyens et de ne pas se soumettre à une minorité bruyante. Dans les faits, nos programmes sur l’environnement attirent de plus en plus. »
« Dans certaines expositions, les musées n’étaient pas aussi directs dans leur explication des causes et des conséquences du changement climatique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a un sentiment d’urgence », abonde Brenda Baker, directrice des expositions au Musée pour enfants de Madison (Wisconsin, nord des États-Unis) et membre du Museums & Climate Change Network, un réseau de professionnels des musées qui travaillent sur la question du climat.
Malgré la prise de conscience, il reste difficile de monter une exposition sur le climat, comme le reconnaît Miranda Massie, du Climate Museum. « Les procédés scientifiques, le contexte social et culturel changent très rapidement. Il est difficile de savoir ce qui importera dans six ou neuf mois. » Pour éviter les expositions trop statiques, le Climate Museum se focalise aussi sur l’action en faisant signer des pétitions et en incitant ses visiteurs à faire pression sur les élus. À l’instar du Field Museum, le musée d’histoire naturelle de Chicago, il a soutenu et participé à la marche mondiale des jeunes pour le climat en septembre. « Les visiteurs ont soif d’art, de sciences, de discussions, conclut Miranda Massie. Ils recherchent des espaces publics pour digérer l’ampleur de la crise. »
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Le climat, le nouvel activisme des musées américains
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Le Climat, le nouvel activisme des musées américains