De tout temps, et aujourd’hui plus que jamais, les artistes et les œuvres d’art voyagent. Faudra-t-il le leur interdire, au nom de la défense du climat ?
Les plasticiens se déplacent pour aller chercher de l’inspiration, ou pour accompagner les expositions de leurs œuvres. Les musiciens partent en tournée pour donner des récitals ou chanter dans des opéras ou des festivals de toutes sortes de musiques, dans tous les coins du monde. Les écrivains se baladent pour nourrir leur imagination et promouvoir leurs livres dans les pays où ils sont traduits. Les comédiens courent le monde pour se produire au théâtre, tourner des films, les défendre à leurs sorties et assister à d’innombrables festivals.
Indépendamment des artistes, les œuvres voyagent aussi : de plus en plus de pays, de villes, réclament la venue d’expositions temporaires des chefs-d’œuvre de l’humanité, ou au moins des œuvres, anciennes ou contemporaines, de leurs propres cultures, installées – par les hasards de la colonisation ou des ventes – loin de chez eux.
Faudrait-il, au nom de la défense du climat, interdire ces voyages ? On en est encore loin. Et on n’a même pas, pour l’instant (sauf très rares exceptions), calculé l’impact carbone d’une tournée de concerts en Amérique d’un grand pianiste russe ou de l’Orchestre philharmonique de Berlin au Japon, ou des Rolling Stones, ou des œuvres de Picasso, de Monet ou de Rembrandt. On ne cherche pas non plus à calculer l’impact carbone des invités du Festival de Cannes, ou de ceux des Oscars. Pas plus qu’on a calculé l’émission de carbone provoquée par l’itinérance mondiale de quelques-uns des trésors de Toutânkhamon.
Cela viendra. Et on se posera (on se pose déjà) ces questions, au moins pour le spectacle vivant, et pour toutes les formes d’activités vivantes de promotion d’artistes enregistrés ou disparus.
Alors, que fera-t-on ? Devra-t-on interdire les voyages d’artistes et d’œuvres d’art ? Ne « consommer » que l’art local, comme on recommande de ne manger que des produits locaux ?
Nos sociétés, qui doivent leurs incroyables progrès à leur mobilité, à leur nomadisme, devront-elles, pour de mauvaises et de bonnes raisons, poser leurs valises et réduire leurs échanges matériels et artistiques ?
C’est fort possible. On verra en tout cas un jour des gens manifester devant un de ces concerts, ou une de ces expositions, pour les boycotter.
Les conséquences sur l’art en devenir, comme pour la culture, et la civilisation seront gigantesques. Cela s’inscrira dans le grand mouvement du populisme et du nationalisme. Et les tenants de ces courants mortifères s’allieront aux écologistes les plus extrêmes pour le réclamer.
Certains artistes sont déjà très conscients de cela. Et commencent à imaginer des solutions différentes, à partir d’hologrammes. Mais combien d’énergie dépenserait la diffusion en hologramme d’un concert ? Sans doute, aujourd’hui encore, bien plus que le voyage de l’artiste.
Il faut réfléchir à cela. Et sans doute, prendre les devants, pour écarter les fantasmes. D’abord faire ces calculs d’impact, et les faire sans crainte : une exposition, une tournée théâtrale ou musicale, un festival de cinéma ne représentent pas le millionième des pollutions que produisent les gaspillages de l’alimentation, les déchets abandonw nés sur les plages, les centrales à charbon et au gaz, et les produits inutiles transportés dans les centaines de millions de containers qui sillonnent les mers.
L’art est l’activité humaine la plus précieuse. La plus haute. Et puisqu’il faut se résoudre à faire des économies drastiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut d’ores et déjà classer par ordre de priorité les activités qu’il faudra limiter, et celles qu’il faudra protéger. Si on le fait avec raison, sans fanatisme, l’art et les artistes n’auront rien à craindre. Sinon…
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L’art, victime annoncée de la crise climatique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : L’art, victime annoncée de la crise climatique