La Cour des comptes dresse un portrait alarmant de la situation patrimoniale, économique et administrative du domaine national.
Compiègne (Oise). Depuis son arrivée à la tête du château de Compiègne, en 2018, Rodolphe Rapetti a une priorité : ressusciter le Musée national de la voiture. Amateur de design automobile et de prototypes – auxquels il a consacré une exposition en 2020 –, le conservateur du patrimoine était en 2007 l’auteur d’un rapport sur le patrimoine automobile dans les musées français. Entre autres considérations sur le peu d’intérêt que suscite cette thématique chez ses collègues, il dépeignait le Musée de Compiègne comme « un appendice de l’établissement, alors qu’il pourrait constituer […] l’appel principal en termes de fréquentation et de diversification du public ».
Ce diagnostic est devenu quelques années plus tard le projet d’établissement, avec la valorisation, puis l’étude autour d’un redéploiement des collections du musée. S’il est bien engagé, avec un avant-projet définitif pour le Musée de la voiture présenté en avril de cette année, ce dessein est loin d’avoir convaincu la Cour des comptes, qui publiait le 11 septembre dernier son rapport sur le château de Compiègne. « Le ministère [de la Culture] indique clairement dans sa réponse à la Cour que sa décision n’a pas encore été prise ; […] ce projet pourrait donc être finalement reporté dans le temps, voir annulé, au profit d’autres urgences. »
Les magistrats invitent donc à une grande prudence quant à ce projet de musée de la voiture, doté de quelques pièces uniques comme le prototype de la « Jamais-Contente ». Les projections de croissance du visitorat annoncées sont accueillies avec beaucoup de réserve dans leur rapport, tout comme le choix de maintenir ces volumineuses collections dans l’enceinte du château. Le projet scientifique et culturel en vigueur, tout comme un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), recommandaient de trouver un lieu dédié à l’extérieur des murs du palais impérial, qui offre un espace limité et peu adapté.
Il est vrai que le château-musée (qui, outre le Musée de l’automobile, abrite le Musée de l’Impératrice Eugénie, tout comme celui du Second Empire) aurait besoin de retrouver une certaine attractivité : alors qu’il attirait 230 000 visiteurs il y a trente ans, il peine aujourd’hui à franchir la barre des 100 000. Si le directeur des lieux voit dans le Musée de la voiture l’outil idéal pour susciter l’intérêt du public, la Cour des comptes note de son côté que le travail élémentaire de politique des publics, et de réseau avec l’environnement touristique immédiat, n’est pas réalisé au château de Compiègne.
Mais si le rapport se montre si dur avec le projet de Rodolphe Rapetti, c’est avant tout pour une question de hiérarchie des priorités. En 2013, le diagnostic patrimonial du domaine donnait une estimation de 85 millions d’euros de travaux nécessaires, dont 37 millions d’opérations urgentes. Les plafonds du premier étage déformé depuis le XIXe siècle – désormais affaiblis par le poids des réserves qu’ils supportent et étayés à certains endroits –, les façades détériorées dont les pierres des corniches se détachent chaque hiver, le « berceau de l’impératrice », la plus longue tonnelle du monde, qui menace de s’effondrer… voila une liste non exhaustive des urgences déjà relevées en 2013, et qui n’ont toujours pas fait l’objet d’un chantier.
Sur les 37 millions d’euros qui auraient dû être consacrés à ces situations préoccupantes, seuls 8,6 ont été effectivement investis. En 2015, un second schéma directeur technique donnait à nouveau une liste d’opérations patrimoniales à mener, classées en trois niveaux d’urgence. Là aussi, seul 1/5e de ce plan estimé à 47 millions d’euros a été réalisé, alors qu’il concerne des domaines aussi essentiels que la sécurité incendie ou les réseaux. Quant au problème des réserves – des espaces inadaptés à la conservation qui occupent 7 600 mètres carrés du château, « sorte de garde-meuble » pour le Mobilier national qui y laisse en dépôt des tapisseries –, il n’a toujours pas fait l’objet d’une réflexion.
L’absence d’un plan pluriannuel d’investissement clair, hiérarchisant les urgences et fléchant les financements doit aussi beaucoup à la nature administrative du château de Compiègne. C’est l’un des quelques musées pilotés directement par la rue de Valois, à travers le statut de service à compétence nationale (SCN). Sans personnalité juridique propre, le château dispose d’une autonomie très limitée, dans des domaines aussi stratégiques que la programmation d’exposition, la recherche de mécènes ou l’exploitation du domaine. Ce dernier est géré par le Centre des monuments nationaux, alors que la billetterie du château dépend de la Réunion des musées nationaux… de cet enchevêtrement de compétences, le SCN ne retire qu’un faible pourcentage des recettes, et dépend essentiellement de la dotation annuelle accordée par le ministère. Pour la Cour des comptes, « une évolution du statut » est indispensable.
Compiègne n’est pas le seul domaine à souffrir de ces complications, puisque le château est associé au sein du même SCN au domaine de Blérancourt. Restauré à grands frais dans les années 2010, avec la réouverture en 2017 de son Musée franco-américain, ce château ne partage pourtant pas grand-chose avec Compiègne, patrimonialement, thématiquement et même territorialement… les deux domaines étant dans deux départements différents. Pour ce château de l’Aisne en « déficit de notoriété », la Cour des comptes recommande de couper le cordon avec le grand domaine de l’Oise, et de « rechercher sans délai des collectivités territoriales intéressées par le transfert du Musée franco-américain ».
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Le château de Compiègne est dans une situation très préoccupante
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°640 du 4 octobre 2024, avec le titre suivant : Le château de Compiègne est dans une situation très préoccupante