COMPIÈGNE
Le château de Compiègne abrite en son sein le Musée de l’automobile où une exposition célèbre la beauté de véhicules considérés comme des objets d’art.
On le sait peu, mais le château de Compiègne, dans l’Oise, loge un Musée national de l’automobile. Moins fameux que la Cité de l’automobile de Mulhouse, il est pourtant la première institution au monde consacrée à la locomotion inaugurée en 1927. Sa collection se compose aujourd’hui d’une centaine de pièces : soixante-dix véhicules hippomobiles et trente automobiles datant du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. Or ledit musée était en perte de vitesse, et a fortiori de visiteurs, son espace phare, la cour des cuisines ou antre des carrosses, ayant été fermé durant deux décennies (1999-2019), pour cause de verrière instable.
Nommé directeur du château en 2018, Rodolphe Rapetti compte y remédier. Son projet comprend notamment la redéfinition de ce Musée de l’automobile : « L’idée est de désengorger les espaces avec une présentation plus aérée et de créer des réserves. L’étude de faisabilité supervisée par l’Oppic [Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture] sera rendue au cours du premier semestre 2020 », explique-t-il. Auteur, en 2007, d’un rapport intitulé Musées et patrimoine automobile en France remis au ministère de la Culture, il a, entre autres, été, en 2011, commissaire de l’exposition « L’art de l’automobile, chefs-d’œuvre de la collection Ralph Lauren », au Musée des arts décoratifs de Paris. Ce n’est pas étonnant donc si l’un de ses souhaits est que « le musée s’ouvre au patrimoine automobile du XXe siècle ». Ainsi en découle cette première exposition intitulée « Concept-car, beauté pure », dont il est le commissaire, et qui amorce cette nouvelle impulsion.
Déployée dans une multitude de salles du palais, parfois de manière incongrue – comme cette Fiat-Stanguellini 1200 Spider « America » (1957) trônant au beau milieu du mobilier XVIIIe du salon de famille –, la scénographie réunit une trentaine de spécimens roulants, ainsi que des maquettes, des photographies et des dessins, dont ce stupéfiant pastel à l’échelle 1 d’une Porsche Tapiro. « Il s’agit de présenter l’automobile comme une sculpture, dans ce qu’elle a de plus proche de l’objet d’art », souligne Rodolphe Rapetti. À observer comment ces formes aérodynamiques et fluides s’insinuent au cœur de cette architecture classique, on n’en doute pas. À une ou deux exceptions près toutefois : la Jamais-Contente, l’un des « clous » du fonds compiégnois, une voiture en forme d’obus au volant de laquelle son concepteur et pilote, Camille Jenatzy, fut le premier, en 1899, à franchir la barre symbolique des 100 km/h – 105,882 très exactement –, voire la parallélépipédique Reaf 50 (1950), voulue par Staline, imaginée par le capitaine ingénieur moscovite Vsevolod Bahchivandzhi et fabriquée dans une usine lettone pour, au final, rester dans les limbes.
Pour le reste effectivement, un concept-car étant une recherche stylistique et/ou technique préfigurant un futur de l’automobile, l’esthétique se fait délice. À commencer par quelques spécimens de deux roues, dont cette effarante Linto Aeronautica Macchi 75 (1956, voir ill.) d’un jaune éclatant, motocyclette de record (de vitesse), qui fait songer à un avion, due au designer italien Lino Tonti. On ne peut sans doute pas imaginer plus profilée. Et tellement étroite que, de profil, on la croirait en deux dimensions.
Grâce à leur coefficient de pénétration dans l’air, se distinguent aussi les volumes en forme de goutte d’eau. Ainsi en est-il de la splendide Panhard Dynavia créée, en 1948, par Louis Bionier. Avec sa caisse ovoïde et son moteur de 750 cm2, elle pouvait emporter quatre passagers à 140 km/h. Il en est de même avec un ahurissant véhicule conçu par Paul Arzens, baptisé fort à propos L’Œuf (1942, voir ill.). Cet ovni sur roues, bulle de plexiglas thermoformé posée sur une demi-coque en aluminium poli, se déplaçait grâce à l’énergie électrique.
Dans la galerie des colonnes, sont disposés à la suite, tel un embouteillage de rêve, pas moins de sept modèles, comme autant de « bijoux » ciselés par des carrossiers hors pair. Comme son nom l’indique, le roadster Plymouth-Ghia « Assimetrica » (1961), signé Virgil Exner, arbore des lignes asymétriques du plus bel effet. La Chevrolet Corvair Testudo Bertone que Giorgetto Giugiaro a dessinée, en 1963 – il a alors vingt-cinq ans –, pour General Motors est une apothéose de lignes. Une porte unique qui s’ouvre tel un cockpit d’avion, des compteurs abaissés pour libérer la vue et un pare-chocs aussi délicat qu’un tour de cou. Le constat est limpide : l’objet s’approche bien de l’œuvre d’art.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Voitures de rêve au château