Un musée consacré à l’histoire, l’art et la culture de la société palestinienne a ouvert il y a un an en Cisjordanie, mais il est encore vide, tandis que le projet d’un musée palestinien en Israël fait débat.
BIR-ZEIT (CISJORDANIE), UMM AL-FAHM (ISRAËL) - Où peut-on voir l’art palestinien ? Jusqu’à présent un peu partout, sauf en Palestine. Mais la situation change. Non seulement le nombre d’artistes palestiniens croît, mais, pour la première fois, un musée consacré à l’histoire et à la culture palestiniennes a ouvert ses portes en Cisjordanie, à Bir-Zeit, une ville universitaire située au nord de Ramallah, à une trentaine de kilomètres de Jérusalem. Cet établissement indépendant est lié à la Taawon-Welfare Association, une importante association internationale, qui s’emploie au développement et à la préservation de l’identité et du patrimoine culturel palestiniens. Il a été financé, à hauteur de 30 millions de dollars, par des donations de particuliers ou d’institutions palestiniennes, arabes ou britanniques. Mais l’inauguration officielle, qui a eu lieu en mai 2016, en présence du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait un côté légèrement surréaliste. L’imposant bâtiment, posé sur une colline et dont les formes attirent immédiatement l’attention, n’offrait en effet aux invités qu’un espace vide de 3 000 m2. Pas de collection permanente, aucune exposition temporaire. L’exposition inaugurale, « Never Part » (« Jamais séparés »), dont le contenu reste peu précis, a été annulée, entraînant le départ du conservateur en chef du musée, le Palestinien Jack Persekian.
D’après Omar al-Qattan, le président du conseil d’administration, qui a joué un rôle déterminant dans la réalisation du projet, le conseil scientifique n’était pas satisfait de la qualité du projet tel que présenté par Jack Persekian, malgré deux années de travail préparatoire. Il ajoute que ce type de difficultés n’est pas rare pour un musée, quel qu’il soit, à ses débuts. Omar al-Qattan évoque également des divergences de fond entre la génération « historique » – les personnalités à l’origine du musée, qui penchaient pour une vision commémorative, célébrant le passé artistique et patrimonial – et celles, plus jeunes, qui souhaitaient une sensibilité au présent, voire au futur. Cependant, il était délicat de repousser l’ouverture du musée, dans un contexte politique tendu, alors que le lancement du projet avait déjà été retardé par la seconde Intifada.
Un musée hors les murs
Parallèlement, le musée joue le rôle d’un vaisseau amiral, avec des « satellites » illustrant la dispersion des Palestiniens dans tout le Moyen-Orient. Il se doit de fédérer, mettre en réseau et reconnecter les Palestiniens restés au pays avec la diaspora internationale. Ainsi, l’une de ses prochaines expositions, « At the Seams : A Political History of Palestinian Embroidery » (« Sous toutes les coutures, une histoire politique de la broderie palestinienne »), a eu lieu au centre culturel Dar el-Nimer à Beyrouth. Elle a été réalisée en 2016 par Rachel Dedman, une conservatrice indépendante, à partir des collections privées de broderies, d’images et de textes d’archives. L’exposition sera reprise à Bir-Zeit en 2018 dans une version remaniée, qui inclura des designers palestiniens contemporains.
L’autre activité importante du musée est la constitution d’une plate-forme Internet, baptisée « Album de famille ». Celle-ci sera alimentée par des photos de famille accompagnées d’entretiens détaillés avec leurs propriétaires. Selon Dalia Othman, directrice des archives audiovisuelles du musée : « Ces 10 000 photos numérisées fournissent un moyen idéal pour aborder l’histoire palestinienne ». Une histoire dont le titre de la manifestation inaugurale du musée, « La représentation de Jérusalem depuis 1967 », qui aura lieu en septembre 2017, a valeur de symbole. Annoncée par les organisateurs comme une lecture critique des représentations de Jérusalem, y compris dans la culture populaire et dans l’art contemporain, ce thème – le condensé de l’évolution politique dans la région depuis la guerre des Six Jours et l’occupation de Jérusalem-Est – ne peut éluder la question d’une prise de position politique. Le choix est d’autant plus frappant que le rêve initial des fondateurs du musée de Bir-Zeit était de le construire justement dans cette ville qui se trouve au cœur du conflit palestino-israélien – un projet auquel ils ont renoncé pour des raisons pratiques.Toutefois, Omar al-Qattan n’est pas le seul à vouloir faire découvrir l’art palestinien. Dans l’une des villes arabes d’Israël, Umm al-Fahm, Saïd Abu Shakra a fondé, il y a vingt ans, une importante galerie d’art. Le lieu est spacieux et les expositions sont ambitieuses. Récemment, la manifestation « L’identité de l’artiste palestinien : entre tradition, culture, modernisation et globalisation » a réuni plus de trente artistes palestiniens venus des quatre coins du monde. Saïd Abu Shakra vise toutefois plus haut : créer le premier musée d’art palestinien en Israël. Le projet n’a rien d’utopique, car l’homme a déjà lancé le concours d’architecture et choisi le bâtiment, dessiné par Amnon Bar Or. Mais il est loin de faire l’unanimité car, dit-il : « Les donateurs des pays arabes ont refusé d’apporter leur soutien à [s]on projet parce qu’il est situé sur le sol israélien, et que [s]a galerie d’art reçoit des subsides publics d’Israël. » Abu Shakra justifie sa détermination par la tentative de certains Israéliens – qui, selon lui, n’ont de lien ni avec la culture ni avec la communauté palestiniennes – de bâtir un musée dévolu à cet art.
Resurgence du débat entre l’art et la politique
Si Abu Shakra se réjouit de l’ouverture du musée en Palestine, Omar al-Qattan est plus circonspect. Insistant sur le fait que chacun est libre d’agir selon sa conscience, il considère néanmoins qu’édifier un musée palestinien à l’intérieur des frontières de l’État hébreu est un acte idéologique lourd de conséquences : une manière de s’engager dans une « avenue aveugle ». Il partage la position de nombreux artistes palestiniens qui refusent d’exposer au côté d’artistes israéliens.
Avec ces deux visions éloignées, sinon opposées, c’est tout le débat sur le rapport entre l’art et la politique qui resurgit. Débat sans véritable issue et qu’il incombe à la société palestinienne de trancher. « On ne peut pas évoquer la culture palestinienne sans y mêler la politique, car la politique assiège notre culture », disait le poète Mahmoud Darwich.
La situation géopolitique de la région ne facilite évidemment pas l’exposition de l’art palestinien ou la construction de musées en Cisjordanie et à Gaza. Pourtant les initiatives ne manquent pas. Outre le Musée palestinien, ouvert en mai 2016 mais vide, un projet en territoire israélien ne fait pas l’unanimité. L’Institut du monde arabe à Paris soutient de son côté un projet lointain de « musée national d’art moderne et contemporain » en Palestine pour lequel des artistes français ont commencé à donner des œuvres.
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L’art palestinien en quête de musées
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Museum Street, Bir-Zeit, Cisjordanie, www.palmuseum.org
Légendes Photos
Le Musée palestinien, Cisjordanie © Photo : Iwan Baan
Carte déterminant la situation des musées d'Umm-Al-Fahm (Israël) et de Bir-Zeit (Cisjordanie) © Idix
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : L’art palestinien en quête de musées