La Cité s’installera dès la fin de l’année dans ses nouveaux locaux du Palais de Chaillot. Mais abritera-t-elle vraiment le grand musée d’architecture annoncé ?
PARIS - Ouvriers casqués, bruits assourdissants des marteaux-piqueurs, amas de gravas, moulages coffrés, restaurateurs s’affairant pour un dernier décrassage... Nul doute qu’une visite du chantier de la Cité de l’architecture et du patrimoine, vieux serpent de mer des grands projets culturels, suffise à convaincre que le projet avance enfin bon train. D’ici à fin 2005, une partie de cette nouvelle institution, née de l’union forcée du Musée des monuments français (MMF), de l’Institut français d’architecture (IFA) et du Centre des hautes études de Chaillot (Cedhec), pourra ainsi s’installer dans le pavillon d’about de l’aile orientale du Palais de Chaillot, côté avenue Albert-de-Mun. La livraison finale des galeries d’exposition est prévue début 2007. Les délais devront être impérativement respectés : un jeu de chaises musicales prévoit en effet l’installation du futur Musée de l’immigration au Palais de la porte Dorée dès janvier 2006, en lieu et place des locaux occupés actuellement par la Cité de l’architecture. La Cité s’en verra d’ailleurs privée de lieu d’exposition jusqu’à l’achèvement total des travaux à Chaillot.
À la mi-janvier, c’est dans un Algéco de chantier que François de Mazières, président de la Cité, présentait avec enthousiasme le dernier état du projet architectural – amendé – de Jean-François Bodin : disparition du grand escalier qui « cassait la grande courbe des galeries », suppression des 600 m2 en mezzanine dans la galerie du deuxième étage, création de trois entrées « pour trois types de public différents », aménagement d’un « espace mécénat » avec terrasse et vue imprenable sur la tour Eiffel (le statut de la Cité requérant plus de 20 % de ressources propres…). Si l’enveloppe architecturale prend donc forme, le président se fait toutefois nettement moins disert sur le contenu de ce nouveau mastodonte culturel créé à coups de millions d’euros. Une discrétion qui pourrait bien révéler la faiblesse du projet culturel. Annoncée comme « le plus grand centre d’architecture du monde », la Cité, née du mariage forcé entre un musée de moulages, un centre dédié à l’architecture contemporaine et une école formant les architectes des Monuments historiques, semble s’être vidée progressivement de sa substance pour se réduire à une juxtaposition maladroite d’institutions. Sa gestation difficile n’aura toutefois pas été étrangère à ce naufrage annoncé.
Une réconciliation reportée
L’origine du projet remonte à 1995, date à laquelle sont lancées les études pour la création à Chaillot d’un Centre national du patrimoine, destiné à donner un second souffle au Musée des monuments français, héritier du Musée de sculpture comparée et de sa pléthorique collection de moulages. Seul « vétéran » à travailler encore sur le projet, l’architecte Jean-François Bodin est alors sélectionné pour mener les travaux.
Mais plusieurs coups de théâtre viendront en retarder le lancement. En 1997, le Musée des monuments français, victime d’un incendie, doit fermer ses portes. Un an plus tard, le projet est retoqué par la direction de l’Architecture et du Patrimoine (DAPA) qui entend faire du lieu une vitrine pour ces deux disciplines qu’elle vient de réunir sous sa tutelle. Mais concilier architecture et patrimoine relèvera de la gageure. Jean-Louis Cohen, architecte et historien de l’architecture, est alors chargé d’une mission d’étude pour la mise en œuvre d’une Cité de l’architecture et du patrimoine. Prévue pour ouvrir en 2000 puis reportée d’année en année, la Cité peine à voir le jour. Jean-Louis Cohen, qui est aussi directeur de l’IFA – vitrine de la création architecturale contemporaine – est en effet soupçonné de vouloir faire la part belle à l’architecture, aux dépens du volet patrimonial et des conservateurs du MMF. Ces derniers disposent d’un argument : la taille de certains moulages de portails médiévaux, qui les rend inamovibles de Chaillot à moins d’être réduits en poussière...
Dans un climat de querelle entre anciens et modernes, Jean-Louis Cohen s’efforce de concilier l’inconciliable et de bâtir un véritable projet pédagogique sur l’architecture à partir des collections de moulages. Il s’agit de « faire avec » cette culture du fragment en l’accompagnant d’un solide appareil didactique, mais surtout de prolonger une collection essentiellement médiévale en comblant les lacunes pour établir une liaison avec la galerie moderne et contemporaine, en grande partie nourrie par les fonds d’archives d’architectes conservés par l’IFA. S’esquisse ainsi un véritable musée d’architecture. Mais les détracteurs ne manquent pas et les rouages de la Cité commencent à se gripper. En 2002, Jean-Jacques Aillagon, nouveau ministre de la Culture, affiche dès son arrivée un enthousiasme très modéré pour le projet. Ancien président du Centre Pompidou, le nouveau ministre ne verrait-il pas d’un bon œil la création d’un musée d’architecture qui pourrait faire de l’ombre au seul établissement détenteur d’une riche collection en la matière, à savoir le Musée national d’art moderne/CCI, dont la future annexe messine pourrait constituer un bel écrin ? Les travaux de la Cité sont toutefois déjà programmés. Fin 2003, alors que Jean-Louis Cohen a tardé à poser les bases juridiques de l’institution, il est brutalement écarté de la tête de la Cité ; prenant acte de ce désaveu, il choisit de démissionner de la direction de l’IFA. S’ensuit alors le rocambolesque épisode de la nomination du journaliste du Figaro Francis Rambert, candidat malheureux au poste de directeur de l’IFA qui, chassé par la porte, revient par la fenêtre en qualité de président de l’IFA... nommé par le ministre. La situation s’apaise enfin au printemps 2004. François de Mazières, ancien « conseiller
culture » du Premier ministre, est nommé à la présidence d’une Cité transformée en établissement public. Francis Rambert peut alors être nommé chef du département architecture (IFA), au même titre que Marie-Paule Arnauld et Mireille Grubert, respectivement responsables du département patrimoine (MMF) et formation (Cedhec).
Il ne reste plus qu’à gérer l’encombrant héritage du projet Cohen, dont le nom disparaît de tous les documents de communication. « Nous avons été amenés à repenser un certain nombre de choses », reconnaît François de Mazières. Quitte à négliger la cohérence du musée. Installé dans les galeries réaménagées du premier étage, l’ancien MMF se muera ainsi en une galerie de moulages modernisée, incluant, au deuxième étage, la présentation de l’importante collection de copies de peintures murales et de vitraux. Le parcours se poursuivra sans transition – exit donc l’architecture classique des XVIIe et XVIIIe siècles – vers la galerie moderne et contemporaine, « apport retenu du projet de Jean-Louis Cohen », dans une version thématique réduite de moitié. La création contemporaine restera pour sa part du ressort de l’IFA, toiletté en « Centre de diffusion de l’architecture contemporaine ». Quant à la grande bibliothèque d’architecture annoncée – il n’existe à ce jour aucune grande bibliothèque spécialisée dans l’architecture et le patrimoine en France –, elle sera consacrée au XXe siècle seulement.
Dès lors, comment croire que la Cité de l’architecture et du patrimoine pourra satisfaire cette ambition de faire « entrer l’art de construire et de penser la ville et son environnement dans la culture des Français » ? Le grand musée d’architecture tant attendu, qui aurait pu sceller la réconciliation entre architecture et patrimoine, ne verra donc vraisemblablement jamais le jour. À l’heure de la décentralisation, François de Mazières préfère annoncer que la Cité sera « une vitrine nationale de la qualité architecturale qui montrera la voie aux collectivités territoriales ». Encore faudrait-il que les professionnels de l’architecture y soient associés. À ce jour, le Conseil national de l’Ordre des architectes, animateur d’un réseau régional de Maisons de l’architecture, n’a toujours pas été sollicité.
À voir : « Milieux, Patrick Berger » et « Métamorphoses durables », du 9 mars au 15 mai, Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de la porte Dorée, Paris.
1882 Ouverture du Musée de sculpture comparée à Chaillot. 1887 Ouverture des cours des Monuments historiques à Chaillot. 1937 Le Musée de sculpture comparée devient Musée des monuments français. 1981 Création de l’Institut français d’architecture (IFA). 1995 Début des études du Centre national du patrimoine. Sélection de l’architecte Jean-François Bodin. L’architecture passe sous la tutelle du ministre de la Culture. 1997 Incendie et fermeture du Musée des monuments français. 1998 Création de la direction de l’Architecture et du Patrimoine. Rapport de Jean-Louis Cohen proposant la création de la Cité de l’architecture et du patrimoine. 2001 Parution d’Une cité à Chaillot (Éd. de l’Imprimeur), par Jean-Louis Cohen et Claude Eveno. 2003 Début des travaux et installation provisoire au Palais de la porte Dorée. En novembre, Jean-Louis Cohen n’est pas reconduit à la direction de la Cité de l’architecture et démissionne de la direction de l’IFA. 2004 En mai, François de Mazières est nommé à la tête de la mission de préfiguration puis président de l’établissement public à caractère industriel et commercial, créé en juillet.
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La Cité de l’architecture et du patrimoine, un projet flou
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : La Cité de l’architecture et du patrimoine, un projet flou