Jardin - Urbanisme

PATRIMOINE URBAIN

À la Butte-Rouge, imminence des travaux

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 21 avril 2023 - 967 mots

CHÂTENAY-MALABRY

Châtenay-Malabry s’apprête à détruire et reconstruire une partie de la cité-jardin. Le classement au titre de « site patrimonial remarquable » apparaît inadapté aux défenseurs de ce patrimoine.

Jardin ouvrier dans la cité-jardin de la Butte-Rouge Châtenay-Malabry 2019  ©  Azadeh AC,  CC-BY-SA-4.0
Jardin ouvrier dans la cité-jardin de la Butte-Rouge Châtenay-Malabry 2019
© Azadeh AC

Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Des portes condamnées, des fenêtres murées, des volets scellés : en ce début de printemps, la cité-jardin de la Butte-Rouge paraît bien triste. Après avoir vidé les immeubles de trois « îlots-tests » et relogé leurs locataires, la municipalité de Châtenay-Malabry met sur les rails le chantier de destruction-reconstruction de la cité-jardin des années 1930, envisagé depuis une décennie. Suscitant l’opposition d’associations locales, mais aussi de défenseurs et spécialistes du patrimoine moderne, les plans de la Mairie intéressent aussi aujourd’hui des instances internationales de la protection patrimoniale. Europa Nostra – qui avait classé la Butte-Rouge parmi les sept sites européens les plus en danger en 2022 – et l’Icomos (Conseil international des musées) ont dépêché sur place leurs experts. Avec pour objectif de trouver une protection patrimoniale alternative au classement « site patrimonial remarquable » (SPR) préconisé par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot en 2021.

Cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry. © Azadeh AC, 2020, CC BY-SA 4.0
Cité-jardin de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry.
© Azadeh AC, 2020

Ce SPR, les associations locales et l’opposition municipale à la majorité (LR) de Georges Siffredi puis Carl Segaud l’ont pourtant longtemps demandé. Devant l’imminence des travaux, la préconisation de ce périmètre, qui doit faire l’objet d’études préalables, semble désormais insuffisante. « Le ministère a souhaité mettre en place un SPR. Mais c’est un périmètre, pas une mesure de sauvegarde. Ce que contiendra le document reste à voir », explique Éric Pallot, architecte en chef des Monuments historiques, et président du comité français de l’Icomos. De son côté, Europa Nostra note dans son rapport technique publié le 9 mars que « la déclaration de la Butte-Rouge en tant que SPR n’empêche pas la démolition d’immeubles et la modification de la configuration du quartier ».

Jouer la montre

Dans une réponse adressée au président de l’association Patrimoine-Environnement le 25 janvier dernier, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak confirmait le choix de sa prédécesseuse, en rappelant que la proposition de périmètre « devra faire l’objet, avant tout examen par la Commission nationale du patrimoine à l’architecture, d’échanges et d’une expertise des services patrimoniaux de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) d’Ile-de-France, d’ores et déjà impliqués sur ce dossier ». En rappelant la complexité de la mise en place d’un tel périmètre, la ministre pensait peut-être rassurer : sa réponse démontre que, pour une Mairie qui souhaiterait jouer la montre, le SPR est l’outil idéal.

Car la question restée sans réponse, c’est celle de savoir si les travaux planifiés par la Ville de Châtenay-Malabry seront effectués avant ou après l’établissement du périmètre et la mise en place des servitudes qui lui sont associées. Les trois îlots sans vie, au nord de ce vaste ensemble, laissent présager une destruction-reconstruction irréversible avant même que le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV, document qui remplace le plan local d’urbanisme dans le cadre d’un SPR) ne soit publié. Dans son rapport d’activité de l’année 2021, la Drac Ile-de-France évoquait des « études engagées » pour la création d’un SPR. Par ailleurs, ces études sont menées par le groupement qui était le seul candidat, et donc lauréat, du nouvel appel d’offres pour la conception du plan-guide de la Butte-Rouge, fin 2021. Mené par l’agence du paysagiste Clément Willemin (Wald), associant deux architectes du patrimoine (l’un belge, Francis Metzger, l’autre française, Delphine Giral), le groupement doit ainsi répondre aux exigences d’une collectivité souhaitant densifier le quartier, tout en préparant un périmètre patrimonial.

Pour la municipalité, l’enjeu est de passer de 3 300 logements à 4 300, et de réduire la part de logement social (aujourd’hui à 98 %) pour favoriser la « mixité sociale » : entendre par là, attirer des habitants plus aisés via l’accession à la propriété et une offre de logements intermédiaires, ce dans le contexte d’un Sud parisien où les prix du foncier explosent avec l’arrivée du tramway. Pour justifier cette densification d’une cité-jardin quasi inchangée depuis sa création, la communication de la Ville s’appuie sur plusieurs arguments : les surfaces réduites des logements, la vétusté de l’ensemble, les problèmes d’humidité. « Seuls 20 % ont de l’humidité, réplique Barbara Gutglas, Châtenaisienne qui mène le combat patrimonial au sein de l’association Châtenay Patrimoine Environnement. La grande majorité d’entre eux sont en bon état. Concernant la taille des logements, elle correspond à la demande principale ici, des familles monoparentales qui ont besoin de petites surfaces. » La vétusté est quant à elle le fruit d’une décennie de sous-investissements dans l’entretien du bâti comme des espaces paysagers.

« Harmonie d’ensemble »

À la Maison du projet sont déjà présentés les plans pour les îlots-tests. En bleu, les « reconstructions » programmées (qui sous-entendent une destruction) montrent des emprises bien différentes des bâtiments des années 1930 ou 1950 qu’elles remplacent : des formes oblongues, rythmées de vaguelettes, en contradiction avec l’esprit général des immeubles actuels, sobres et quadrangulaires. Pour ces trois îlots-tests, il n’y aura pas de servitudes du SPR à appliquer. En effet, lors du conseil municipal de mars 2021, la Mairie précisait sa méthode : « [Ce protocole] prévoit de lancer rapidement les îlots-tests, de compléter les études et la désignation d’un paysagiste-urbaniste-architecte qui coordonnera l’ensemble du projet dont celui du site patrimonial remarquable. » Détruire, reconstruire, puis mettre en place une protection.

Pour les défenseurs de la Butte-Rouge, ces premières destructions ponctuelles seraient déjà une atteinte à la valeur patrimoniale de l’ensemble : « Ce qui a été plaidé depuis le début, c’est que la valeur de la Butte-Rouge réside dans une harmonie d’ensemble. Ses qualités réelles doivent être vues à l’aune d’une cité-jardin dans son intégralité », explique l’historienne Elise Guillerm, qui a publié le premier ouvrage de référence sur le sujet. De manière contre-intuitive, le sauvetage de la Butte-Rouge pourrait pourtant passer par le classement monument historique de quelques immeubles, englobant dans leur périmètre de protection l’ensemble du quartier : une protection qui serait, elle, immédiate.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : À la Butte-Rouge, travaux imminents et protection absente

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