PARIS
PARIS [30.06.11] - Commissaire d’exposition indépendant, ancien inspecteur à la Création au ministère de la Culture, conservateur au Centre Georges Pompidou... Jean de Loisy a pris en juin la direction du Palais de Tokyo, avec un mandat de cinq ans. Il présente ses ambitions pour ce lieu, objet de beaucoup d’inquiétudes...
Fabien Simode : Votre nomination à la présidence du Palais de Tokyo est venue calmer les inquiétudes nées de la démission récente d’Olivier Kaeppelin. Quel est votre état d’esprit au moment de votre prise de fonction ?
Jean de Loisy : Le Palais de Tokyo a une identité et surtout une vitalité qui existe et est déjà bien connue dans le monde des amateurs internationaux de la création depuis bientôt dix ans. L’État a été convaincu par le potentiel démontré et a acquis la certitude que donner plus de force à ce lieu en triplant sa superficie et en lui donnant les moyens d’être l’un des plus grands espaces consacrés à la création contemporaine en Europe rendrait d’infinis services à la scène française. Olivier Kaeppelin a formulé et mis en place les fondements de cette ambition, et ce projet qui est la suite de ce qu’avaient initié Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud voici dix ans, puis qui a été poursuivi par Marc-Olivier Wahler, n’est pas contrarié. De difficiles péripéties ont ému, l’équipe a tenu le navire, et dans dix mois ouvrira un lieu au service de la création, de la scène française, mais d’une façon évidemment ouverte sur la création dans le monde. Ainsi a commencé le 6 juin ce grand chantier confié aux architectes Lacaton et Vassal. Mon rôle est donc de faire en sorte que ce lieu soit celui des artistes, un lieu libre, réactif, profond et heureux.
F.S. : Vous êtes d’une génération de directeurs et de commissaires déjà établis, ce qui peut susciter quelques inquiétudes auprès des jeunes artistes comme des jeunes curateurs. Que leur dites-vous pour les rassurer ?
J.L. : J’ai toujours démontré, depuis le début de ma carrière, ma grande curiosité pour la découverte de jeunes talents. Je n’ai jamais interrompu les visites d’ateliers et le désir d’accompagner les explorateurs de nouveaux territoires. Je l’ai fait encore récemment, en concevant l’exposition de l’École des beaux-arts [« Le Vent d’après », du 27 mai au 10 juillet 2011], l’exposition des jeunes félicités de l’école, pour laquelle j’ai sollicité Ulla Van Brandeburg qui en a conçu la dramaturgie. Cette exposition a été, et c’est pour moi une évidence, traitée avec le même sérieux, bien qu’avec d’autres moyens, que la Monumenta d’Anish Kapoor [Jean de Loisy était le commissaire de Monumenta].
Le Palais de Tokyo est d’abord un lieu consacré à la création d’aujourd’hui. Cela ne veut pas dire aux stars du moment, mais plutôt à ceux qui portent, par leurs recherches, leurs œuvres des enjeux indispensables à leurs contemporains. Cela ne concerne donc pas une génération, mais toutes. Par contre, cela signifie que ce n’est pas un projet consacré à l’histoire de l’art ou à divers rattrapages. C’est par leur capacité à mettre en turbulence la pensée, la création, les idées que nous avons du présent que les artistes de toutes générations seront invités à perturber notre compréhension de l’art, nos certitudes, invités à présenter des pistes nouvelles pour nos consciences. C’est donc bien l’art d’aujourd’hui qui m’intéresse, sans souci d’âge ou de génération.
F.S. : Des artistes oubliés par les institutions auront-ils par exemple leur place au sein de la future programmation ?
J.L. : Oui, toutes les générations peuvent apparaître au Palais de Tokyo. Mais j’ai tendance à regarder toujours le passé du point de vue du présent. Le présent, c’est ce qui se passe dans les ateliers, ce que les artistes lisent, regardent, consomment, ce qui les fait réagir, les œuvres qui les inspirent ou celles qu’ils pourraient découvrir et qui les concerneraient. J’ai vu à quel point l’exposition de Jean-Jacques Lebel, que j’ai faite l’année dernière à la Maison rouge, a passionné les artistes plus jeunes. Cela prouve l’inanité de ces séparations entre générations ou notoriétés.
F.S. : Vous êtes le commissaire du Monumenta d’Anish Kapoor, de l’exposition « Le Vent d’après » à l’ENSBA, du pavillon israélien à la Biennale de Venise représenté par Sigalit Landau… Vous êtes également conseiller artistique du collège des Bernardins… Allez-vous mettre entre parenthèses votre activité de commissaire indépendant ?
J.L. : Je tiendrai mes engagements. Je ferai par exemple l’exposition « Les Maîtres du désordre » au Musée du quai Branly en avril 2012 à laquelle je travaille depuis trois ans. Mais mon but sera désormais de donner non seulement la parole aux jeunes artistes, mais aussi aux meilleurs Youngs Curators du monde entier. J’ai cette envie de transmettre, d’abord une passion pour l’art contemporain, mais surtout une passion pour un métier, qui est le mien, et qui consiste à déclencher une stupeur ou une profondeur dans le regard que le spectateur porte sur le monde à partir de l’art, sur l’énigme de l’œuvre.
F.S. : Peut-on imaginer la création au sein du Palais de Tokyo d’une école pour les curateurs ?
J.L. : Il existe déjà Le Pavillon conduit par Ange Leccia, qui accueille de très jeunes artistes et de jeunes curateurs. J’ai l’intention de développer cette activité, mais aussi de permettre à l’équipe curatoriale du Palais de mieux repérer et accompagner les talents émergents, venus d’autres parties du monde. Cela me permettra d’ailleurs de ne pas devenir prisonnier de ma génération, comme le deviennent beaucoup de commissaires d’exposition...
F.S. : Vous étiez présent lors de la conférence de presse des cinq ans du Quai Branly lundi 6 juin. Allez-vous reprendre l’idée de la colline de Chaillot qui devait plus ou moins fédérer les musées proches du Palais de Tokyo ?
J.L. : Dans mes expositions, les liens avec les autres musées, les autres savoirs et les autres cultures ont toujours été permanents. J’ai été le premier à montrer ensemble des objets esquimaux, chinois, contemporains… Dans ma prochaine exposition au Musée du quai Branly, je présenterai des objets chamaniques à côté d’œuvres de Bruce Nauman ou de Jean-Luc Verna.
Je pense que les questions que se posent les grands artistes depuis 25 000 ans sont les mêmes, et que ces derniers font finalement un travail d’anthropologue. Or l’anthropologie est trop sérieuse pour la laisser aux seuls ethnologues ! Je souhaite donc pouvoir collaborer avec un musée d’architecture, un musée d’art asiatique ou un musée d’arts premiers, mais aussi, au-delà de la colline de Chaillot, avec un musée comme le Louvre…
L’important sera, au Palais de Tokyo, de se rapprocher au plus près de la pensée, de l’atelier de l’artiste, où peuvent voisiner une carte postale de Tintoret, un objet Dogon, une pièce industrielle du début du siècle et des livres d’art contemporain.
F.S. : Allez-vous conserver les équipes actuelles du Palais de Tokyo ?
J.L. : Je connaissais déjà beaucoup des membres de l’équipe. L’équipe a prouvé dans des moments difficiles sa solidité, sa passion et son inventivité. Elle a l’habitude de travailler dans des conditions frugales qui vont continuer. Cela a été et va demeurer notre style, comme c’est d’ailleurs celui des architectes qui ont été choisis. Il va falloir créer une direction générale qui sera chargée de l’administration et des attentions nécessaires pour une très grande maison, et ensuite élargir les équipes en place pour répondre à la charge que vont représenter ces 20 000 m2 supplémentaires. Quant à la programmation du Palais, elle sera dévoilée durant la Fiac.
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Jean de Loisy : « Le palais de Tokyo concerne toutes les générations »
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