PARIS
En un an, Marc-Olivier Wahler a su transfigurer le Palais de Tokyo par le biais d’expositions aussi denses que sensuelles. Portrait d’un cow-boy faussement désinvolte.
En sachant qu’il collectionne les culottes de peau bavaroises et prépare un guide du strudel, on ne s’étonne plus que Marc-Olivier Wahler ait inauguré sa direction du Palais de Tokyo, Site de création contemporaine à Paris, par le mariage farfelu du concours de bûcherons et de la physique quantique ! Pour l’artiste Gianni Motti, « Marc-Olivier n’est pas un auteur mais un fauteur d’exposition ». Comme fauteur de trouble ? Sans doute. Sa dégaine nonchalante et ses santiags de cow-boy masquent toutefois une charpente intellectuelle aussi solide que sophistiquée. « Il a un côté proche de la pataphysique, très poétique, mais en même temps méthodique », remarque l’artiste Michel Blazy.
De fait, le foisonnement à l’œuvre aujourd’hui au Palais de Tokyo tient plus de la construction que du zapping. « Marc-Olivier est un homme d’une inquiétante étrangeté, très obsessionnel, féru de psychanalyse et très lacanien. Il veut donner l’image de quelqu’un d’intuitif, mais c’est un grand analytique qui veut comprendre les mécanismes des choses qui le touchent, indique la lauréate du Prix Marcel-Duchamp 2007 Tatiana Trouvé. Ce qui le passionne, c’est de construire les règles du jeu et du mensonge. » Dès sa première exposition de monochromes rouges dans l’Hôtel de Ville de Neuchâtel (Suisse), il invente ainsi six artistes dotés de fausses biographies. « Chez certains curateurs, on sait par avance ce qu’on va voir. Marc-Olivier est surprenant, résume Gianni Motti en rajoutant : quand nous nous voyons, nous ne parlons presque jamais d’art, mais de tout le reste. C’est là sa force : éviter l’art artistique. »
Une folie salutaire
Avec cette excentricité, Wahler aurait pu être Belge. Eh non, celui qui a injecté une cohérence et une folie salutaire au Palais de Tokyo se révèle Suisse. Harald Szeemann n’avait-il pas démontré en trois expositions (1) qu’Helvètes, Belges et Autrichiens étaient tous trois visionnaires ? D’ailleurs, Wahler a des gènes autrichiens par ses parents, installés en Suisse dans les années 1950. Une famille qui lui inculque comme valeurs le travail manuel et le sport. Mais c’est vers la philosophie, l’histoire de l’art et la littérature anglaise que se tourne ce champion de skate-board aux genoux brisés. L’esthétique analytique lui ouvre les portes de l’art contemporain. Après une année sabbatique en Asie et un séjour de six mois à la Cité des Arts à Paris, il devient conservateur en 1992 au Musée des Beaux-Arts de Lausanne avant de rejoindre l’équipe de préfiguration du Musée d’art moderne et contemporain (MAMCO) de Genève.
L’idée d’exposition le préoccupe alors plus que celle de musée. Aussi participe-t-il en 1995 à la création du Centre d’art de Neuchâtel (CAN) dans une ancienne usine de chauffage. À l’exposition inaugurale regroupant des artistes français comme Parreno, Ramette et Mayaux, succèdent des expositions personnelles notamment de Fabrice Gygi et Jonathan Monk. Ces événements, Wahler et son équipe les montent avec un budget au lance-pierres et de l’huile de coude. « Il me fait penser à Harald Szeemann, qui était aussi dans le sens pratique des choses, plantait les clous et montait les expositions avec les artistes », rappelle Gianni Motti. Son sens pratique s’était déjà affûté en travaillant en 1995 avec l’artiste Pipilotti Rist pour l’organisation de l’Expo.02, grand-messe nationale suisse. Wahler ne croit toutefois que modérément à ce type de raout. « L’exposition nationale peut être utile si on la fait avec de jeunes artistes. Avec des créateurs confirmés, ça a moins de raison d’être », déclare-t-il.
En 2000, l’exposition « Transfert, art dans l’espace urbain » à Bienne (Suisse) le place sur une orbite internationale. « L’idée était celle de la greffe, du mutant, [des films] Les Envahisseurs et Blade Runner, rappelle-t-il. Au niveau du visible rien ne change, mais au niveau de l’interprétation, si. » Ses mécanismes d’interprétation, il les puise dans d’autres champs que ceux de l’art, du côté de la physique, du virus ou… des bombardiers furtifs.
Le succès de « Transfert, art dans l’espace urbain » contribue à sa nomination à la tête du Swiss Institute à New York. En peu de temps, il transforme un lieu endormi en centre d’art de réputation internationale. Ses coups de pieds dans la fourmilière, tout comme l’exposition très visionnaire baptisée « Mayday », prévue le 11 septembre 2001, heurtent certains membres du conseil d’administration. « Le Swiss Institute a considéré qu’un programme international, avec des éléments distincts suisses était la meilleure façon d’assurer un impact durable dans un environnement aussi concurrentiel que New York, rappelle Dieter von Graffenried, éditeur de la revue Parkett et président du conseil d’administration du Swiss Institute. Le nouveau focus mis en place dans les premières années de la direction de Marc-Olivier Wahler avait besoin d’être expliqué de manière convaincante par le conseil d’administration et Pro Helvetia. » Adepte du quitte ou double, l’intransigeant Wahler ne savoure pas forcément les conflits, même si d’aucuns lui reprochent un certain autoritarisme. « Rien ne le démonte. Il ne se laisse pas impressionner, mais ne cherche pas non plus les jeux de pouvoir, observe Christian Bernard, directeur du MAMCO. Marc-Olivier peut avoir des jugements tranchés, mais n’est jamais négatif. Il a cette diététique mentale de regarder ce qui est stimulant sans se lamenter. »
Bien qu’il ait bataillé contre la mise en place d’une direction administrative en sus de la sienne au Palais de Tokyo, le sceptre en tant que tel ne l’intéresse guère. Pour preuve la liberté totale qu’il offre aux artistes. « Il a seulement écouté, n’est jamais intervenu. C’est un geste exceptionnel de générosité de se retirer du pouvoir », souligne l’artiste Ugo Rondinone, commissaire de l’actuelle exposition « The Third Mind ».
L’arrivée de Wahler à la tête du Palais de Tokyo en 2006 a permis à la structure de gagner en maturité et en sérieux. Sa maîtrise impressionnante de l’espace a balayé l’esthétique du bricolage et de l’événementiel qui prévalait jusqu’alors. « L’exposition est son projet et son problème. Il sait lorsqu’une œuvre, à deux millimètres près n’est pas à sa place », insiste Christian Bernard. Tissées de savants jeux métaphoriques, ses expositions ne prétendent pas expliquer à coup de burin l’alpha et l’oméga de notre époque. « Elles ne sont pas à lire ni à comprendre comme un discours, précise Tatiana Trouvé. Marc-Olivier capte le spectateur dans une architecture et donne la possibilité d’une balade. Il crée des moments d’attente, de flottement, sans nous prendre par la main. »
L’expérience physique y est aussi primordiale que le sous-bassement conceptuel. Paradoxe ? « Le paradoxe est déjà dans l’œuvre d’art, indique l’intéressé. Une pièce peut être à la fois furtive et super-spectaculaire. Elle échappe à un certain type de logique, de regard. Mais une transfiguration s’opère entre l’objet physique sur lequel on bute et l’objet esthétique qu’on découvre. » La multiplication de mini-expositions simultanées est devenue sa marque de fabrique. Tout comme la diversité des interventions, entre l’Hôtel Everland (2), récemment installé, et les événements hors les murs comme les Chalets de Tokyo, initiés en novembre à Buenos Aires (Argentine). « Je me définis avant tout comme un curateur de programme, j’écris des chapitres », explique-t-il. Et le prochain se rédige sur le mode monographique avec Loris Gréaud, Christoph Büchel et Jonathan Monk, ce dernier en stéréophonie avec le Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Les relations de voisinage avec cette institution sont d’ailleurs au beau fixe. « Nos terrains et les options sont suffisamment différents pour que chacun trouve sa place. C’est une sorte d’émulation », affirme Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Le Suisse, qui a réussi à convaincre sa compatriote, la collectionneuse Maya Hoffmann, de signer un chèque de 350 000 euros pour l’exposition « The Third Mind », sent-il la France reprendre du poil de la bête ? « Je ne vois pas vraiment de différence avec les États-Unis quand je perçois l’énergie de la jeune génération d’artistes. On a touché le fond et les gens veulent remonter à la surface, déclare-t-il tout en glissant : si le mécène suisse ou américain croit au projet, il va plus facilement donner de l’argent sans contreparties visibles. Le retour sur investissement se retrouve ailleurs, au niveau social. En France, on est encore souvent dans la logique du sponsor, du donnant-donnant, de l’affichage de logo ». Wahler a encore des cocotiers à secouer.
(1) En 1996, 1998 et 2005.
(2) Capsule de Sabina Lang et Daniel Baumann posée sur le toit du Palais de Tokyo, à Paris, jusqu’en décembre 2008 faisant office de chambre d’hôtel que l’on peut désormais louer.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Marc-Olivier Wahler, directeur du Palais de Tokyo
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €1964 Naissance à Neuchâtel (Suisse)
1995 Cofondateur du Centre d’art de Neuchâtel (CAN)
2000 Directeur du Swiss Institute à New York
2006 Directeur du Palais de Tokyo
2007 Exposition « The Third Mind » jusqu’au 3 janvier 2008
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : Marc-Olivier Wahler, directeur du Palais de Tokyo