SAINT-DENIS
Alors que le début du chantier se rapproche, une nouvelle tribune remet en cause la pertinence de la reconstruction de la flèche de la basilique Saint-Denis.
Saint-Denis. Malgré le feu vert accordé par la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, en 2017, le chantier de reconstruction de la flèche nord de la basilique Saint-Denis continue de susciter la polémique. Un texte publié sur le site du Point, signé par les deux médiévistes Mathieu Lejeune, docteur en histoire de l’art, et Maxime L’Héritier, maître de conférences en histoire à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, relance le débat sur le bien-fondé de ce projet. Des sommités du patrimoine et de l’histoire médiévale (Jean-Louis Cohen, Roland Recht, Jean Wirth...) ont signé cette tribune qui reprend certaines mises en garde déjà exprimées par le passé, et alerte sur les interventions de la toute première phase des travaux, qui devrait commencer cet hiver.
L’injection de chaux dans le massif occidental de la basilique, consolidation préalable à l’élévation de la flèche, inquiète ainsi les signataires de la tribune. « Cette structure vient tout juste d’être restaurée, rappelle Maxime L’Héritier, c’est l’une des premières façades du XIIe siècle. Peut-on la dégrader de cette façon-là pour une construction qui n’est peut-être pas utile à l’édifice ? » Les auteurs s’inquiètent également de la possible destruction des vestiges archéologiques de la nécropole située au pied de la basilique, où se trouve la chambre funéraire de Pépin le Bref. L’association maîtresse d’ouvrage, Suivez la Flèche, se veut rassurante à ce sujet : « Les lieux de la sépulture ne sont pas du tout concernés », rappelle son président, Julien de Saint Jores. Quant aux injections de chaux, il explique qu’il s’agit d’une opération de consolidation réalisée sous la responsabilité de l’État, « une opération relativement banale ».
Au-delà de ces éléments factuels, c’est aussi un sentiment d’incertitude autour des intentions de ce chantier qui est dénoncé. Pour les auteurs de la tribune, un flou est « sciemment entretenu » autour des intentions réelles du projet, qui vise à reconstruire la flèche dans son état de 1837, après la restauration de François Debret, tout en promouvant un chantier d’essence médiévale, où les pierres d’origine retrouvées sur le site de la basilique joueraient un rôle central. Une confusion qui avait été entretenue, avant l’autorisation officielle du chantier en 2017, par quelques déclarations d’élus. « Il s’agit de remonter les pierres taillées qui reposent depuis cent cinquante ans au pied de la basilique », expliquait alors Didier Paillard, maire de Saint-Denis (PCF), dans un article du Monde daté du 1er juillet 2016.
« Les pierres n’ont jamais été un argument de communication », fait valoir Julien de Saint Jores, qui a pris la présidence de l’association après l’élection de Mathieu Hannotin (PS) à la mairie de Saint-Denis, en 2020. « Elles sont du XIXe : ça tombe bien ! C’est la flèche du XIXe que l’on remonte. » Et qui plus est avec des pierres neuves, taillées selon les relevés de 1847.
Le terme de remontage, utilisé par l’association, est également source de confusion sur les objectifs de ce chantier. « Il convient, au regard du faible nombre de pierres d’origine disponibles, de parler non de la reconstruction de la flèche, mais de la reconstruction d’une flèche », soulignait ainsi le directeur adjoint de la Drac Île-de-France, lors de la réunion de la Commission nationale des monuments historiques (CNMH) de janvier 2017. « Il y a une part d’interprétation dans ce chantier », met en garde Maxime L’Héritier.
Une accusation que rejette là aussi formellement Suivez la flèche, en mettant en avant la très riche documentation de l’édifice dans son état restauré de 1837. « On a tous les plans de François Debret, les plans de Jacques Moulin [l’architecte en chef des Monuments historiques à l’initiative, et en charge du projet] sont ceux de François Debret. En termes d’authenticité, on se pose là... », soutient Julien de Saint Jores. Le respect de l’authenticité du monument est le nœud du débat qu’agite cette reconstruction, et fut l’une des raisons de l’avis défavorable émis par la CNMH en 2017. Un avis rendu par « une majorité créée artificiellement, sans que la commission ne compte tous ses membres », assure le président de l’association, qui en veut pour preuve l’aval donné par le ministère de la Culture quelques mois plus tard. Pour les opposants à la reconstruction, cet avis demeure néanmoins un argument de poids pour contester la légitimité du chantier.
À la charte de Venise brandie par les opposants, les promoteurs du chantier répondent par le Document de Nara, qui augmente la première d’une notion d’authenticité moins matérielle, davantage liée aux connaissances et savoir-faire : précisément ce que souhaite développer la reconstruction dionysienne. « La mobilisation de techniques anciennes et des plans originaux est garante de l’authenticité sur notre chantier », avance le président de l’association. « Je pensais qu’on s’attachait à la conservation des formes et de la matière, rétorque de son côté Maxime L’Hériter, ce qui est intégré dans la charte de Venise. Ces consolidations sont brutales pour un édifice qui a vécu sans depuis huit cents ans. »
La guerre de tranchées entre ces deux positions patrimoniales n’a pour l’heure fait l’objet d’aucune discussion à Saint-Denis : les auteurs de la tribune souhaiteraient un débat sur la reconstruction, invitant toutes les parties prenantes. Une idée que ne rejette pas Julien de Saint Jores. « Je ne suis pas contre un vrai débat sur la doctrine patrimoniale, mais qu’on ne nous attaque pas sur la destruction imaginaire du tombeau de Pépin le Bref », soupire-t-il.
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Flèche de Saint-Denis : les débats sont relancés
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Flèche de Saint-Denis : les débats sont relancés