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OPÉRATEURS PRIVÉS

Edeis, le nouvel acteur de la gestion privée de sites culturels

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2024 - 907 mots

Entré sur le marché de la gestion privée de biens culturels en 2021, le groupe immobilier et aéroportuaire a décroché deux marchés importants en début d’année.

Spectacle de mapping L'Odyssée sonore au Théâtre antique d'Orange. © Edeis / Imki
Spectacle de mapping L'Odyssée sonore au Théâtre antique d'Orange.
© Edeis / Imki

Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Cet hiver, un opérateur encore peu connu dans le paysage culturel a annoncé coup sur coup deux nouvelles concessions. En décembre 2023, Edeis gagne la délégation de service public (DSP) de la Cité de la mer de Cherbourg (Manche), au détriment de la société d’économie mixte (SEM, société publique détenue par les collectivités locales) détentrice du marché depuis 2019, puis est désigné lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt pour la reconversion de l’abbaye-prison de Clairvaux (Aube) lancé par l’État. Société spécialisée dans l’ingénierie immobilière, et dans l’immobilier aéroportuaire et portuaire, Edeis grappille des marchés culturels depuis 2021. Cherbourg et Clairvaux font de ce nouvel entrant dans le secteur de la gestion privée des lieux culturels un concurrent des historiques Kléber Rossillon et Culturespaces.

C’est aux dépens de cette dernière qu’Edeis est d’ailleurs entré dans ce secteur, en lui ravissant les DSP de Nîmes (arènes, Maison carrée et tour Magne) et d’Orange (théâtre antique, Arc de triomphe, Musée d’art et d’histoire).

L’histoire d’Edeis est relativement récente. En 2017, le Groupe Ginger, spécialisé dans l’immobilier hospitalier, acquiert les activités de l’entreprise canadienne SNC-Lavalin en France, dont ses dix-huit aéroports. Edeis est créée à l’occasion de cette fusion et, selon son président, Jean-Luc Schnoebelen, l’ambition culturelle est déjà présente à ce moment-là : « Dès l’origine on s’était dit qu’il fallait qu’on anime nos sites. Un aéroport, ce ne sont pas que des avions qui décollent, on voulait trouver des thèmes qui attirent les gens et on a intégré deux personnes pour la culture. »

Synergies à créer entre les sites culturels et les aéroports

Avec son réseau d’aéroports et de ports, le groupe souhaite se positionner comme un interlocuteur des collectivités en recherche de dynamique territoriale. Recruté comme vice-président du groupe pour porter ce message, l’ancien journaliste de la chaîne de télévision LCI Olivier Galzi voit dans cette stratégie les raisons de ses récents succès dans le secteur culturel : « Nous avons cette approche spécifique qui fait la différence. Ce qui manque aujourd’hui, c’est l’écosystème territorial : nous travaillons avec les établissements territoriaux pour mettre de l’huile dans les rouages. » Sur une carte de France, les marchés culturels décrochés par Edeis se superposent ainsi aux aéroports gérés par le groupe : Nîmes, Aix-en-Provence, Cherbourg et Troyes tout près de Clairvaux.

À Nîmes (Gard), la DSP accordée par la Ville s’étend à une forme de sous-traitance du marketing territorial. Edeis porte ainsi l’identité touristique « Nîmes la Romaine » et ne cache pas son ambition de créer des synergies entre le développement des sites culturels et son aéroport. « Nous avons créé une ligne avec Édimbourg pour le spectacle estival consacré au mur d’Hadrien dans les arènes », explique Jean-Luc Schnoebelen. Cette stratégie touristique, à contre-courant des préconisations actuelles pour limiter les trajets en avion, n’est pas encore probante : dans le Gard, la majorité des visiteurs viennent de la région.

Des récits grand public pour élargir et rajeunir les audiences

Le contenu proposé par les sites est quant à lui guidé par l’ambition de rajeunir et élargir le public des monuments en gestion. « Titanic » à Cherbourg, « Vercingétorix » et « Germanicus et la colère barbare » à Nîmes : Edeis mise sur des récits grand public, qui ne font pas toujours l’unanimité parmi les historiens. Les monuments d’Orange (Vaucluse) déclinent une proposition plus originale, autour de l’acoustique. Un spectacle technologique pour le théâtre antique a été développé par une filiale du groupe, Imki, mêlant son binaural et intelligence artificielle : un spectacle primé lors du CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas en 2022, grand rendez-vous des nouvelles technologies.

À Clairvaux, l’entreprise est l’interlocuteur des ministères de la Justice et de la Culture pour faire émerger un projet de reconversion comportant un important volet culturel : sans en dévoiler davantage, le président du groupe évoque une proposition autour de la figure de deux condamnés à mort, Claude Buffet et Roger Bontems, incarcérés dans l’ancienne abbaye. Jean-Luc Schnoebelen affirme également être sollicité par des municipalités – dans des régions où Edeis est déjà présent – pour prendre en charge des projets culturels, comme à Dunkerque (Nord), Beaune (Côte-d’Or) ou Saint-Malo (Ille-et-Vilaine)… sans montrer un grand enthousiasme : « Arles nous a sollicités pour son patrimoine Christian Lacroix par exemple ; de moins en moins de gens sont au courant de qui il est, on ne sent pas une appétence pour un “musée Lacroix” », estime-t-il.

Une montée en compétences culturelles du management

La montée en compétences culturelles est l’un des enjeux du groupe, qui est parvenu à garder la gestionnaire expérimentée des sites de Culturespaces à Orange, mais qui confie ses autres sites culturels à des profils variés, plutôt axés sur le management. En 2022, le groupe recrute Catherine Ferrar, ancienne administratrice du Louvre-Lens, comme directrice de projet musées et patrimoine. En mars, c’est un autre profil à valeur culturelle ajoutée qui rejoignait le groupe au poste de directrice de la communication, Amandine Blier, ancienne directrice de la communication de Citéco, la Cité de l’économie à Paris. Des renforts importants pour les futurs projets muséaux portés par le groupe, comme l’aménagement de la maison Saurel à Nîmes qui a été ajoutée par la Ville à son package lors du renouvellement de la DSP – qui arrive à échéance en novembre 2024 –, et qu’Edeis devra défendre face à une proposition de Kléber Rossillon.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Edeis, le nouvel acteur de la gestion privée de sites culturels

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