Le groupe industriel a racheté des sociétés lui permettant d’occuper une place de premier plan dans la conception de projets culturels et le service aux musées et sites patrimoniaux.
France, monde. Dans le marché encore peu structuré mais en forte croissance de l’ingénierie culturelle, un acteur est en train de s’imposer dans le monde… et il est français : Chargeurs Museum Studio (CMS). Si la marque « CMS » est quasi inconnue en France, c’est parce qu’elle est récente et qu’elle fédère plusieurs entités acquises dernièrement par le groupe. Depuis son rachat de Chargeurs en 2015, Michaël Fribourg n’a eu de cesse de constituer au pas de charge un pôle de services pour les musées et sites patrimoniaux. Il a ainsi acquis entre 2018 et 2022 pas moins de sept entreprises dans le monde, en commençant par D&P aux États-Unis qui a conçu de nombreux musées outre-Atlantique : le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines à Washington D. C., le Mémorial du 11-Septembre à New York, plusieurs musées militaires… On trouve également dans son portefeuille quatre entreprises installées en Grande-Bretagne (DPM, Event…) et très implantées dans la péninsule Arabique. On doit à celles-ci deux musées à Oman tandis que l’Arabie saoudite leur a commandé trois musées pour le quartier de Diriyah à Riyad et six autres musées régionaux. Un des points communs à tous ces lieux est l’importance donnée à la scénographie, compensant des collections d’artefacts souvent en nombre limité. CMS a cependant fait quelques incursions dans les musées de beaux-arts, comme à la Burrell Collection de Glasgow (Écosse) que le groupe a entièrement rénové il y a deux ans.
Chargeurs a également mis la main en 2022 sur l’historique éditeur italien Skira (chiffre d’affaires : 15 M€), ce qui lui permet de prendre pied plus fermement dans le marché des producteurs d’expositions. Skira s’est en effet lancé dans cette activité, en témoigne une exposition « Cézanne/Renoir » conçue à partir d’œuvres du Musée d’Orsay et présentée actuellement au Palazzo Reale de Milan. Le groupe est par ailleurs l’organisateur de la biennale d’art contemporain « Desert X Al-Ula » de 2021. CMS a réalisé en 2023 un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros et prévoit d’atteindre 150 millions en 2024.
Mais de riches individualités ne font pas forcément un bon collectif. D’où la mission de Delphine de Canecaude arrivée il y a près d’un an pour diriger ce pôle et lui donner une cohérence stratégique. Grâce aux divers secteurs d’activités de ses sept entreprises, CMS affirme être en mesure de répondre à tous les besoins de la chaîne : du conseil stratégique à l’édition et la gestion d’une boutique en passant par la création de contenus muséaux, la conception et la réalisation de scénographies grand public ou l’organisation d’expositions. « Ma mission est de créer des synergies en faisant travailler toutes ces entreprises ensemble, en constituant des équipes projet à partir des ressources existantes quand les appels d’offres nous le permettent », explique la directrice. Delphine de Canecaude a déroulé une partie de sa carrière dans la communication, elle a créé l’agence Étoile Rouge avant de la céder à BETC. Mais cette diplômée des Beaux-Arts de Paris a gardé une forte appétence pour les musées, les arts visuels et l’histoire de l’art.
La demande de nouveaux musées ou de rénovation de musées, mémoriaux, centres d’interprétation explose dans le monde entier. Les villes, les pays ont bien compris l’intérêt de ces lieux qui attirent les touristes, valorisent leur image et permettent de construire une histoire nationale. L’eldorado du moment a pour nom « Saudi Vision 2030 » : ce gigantesque plan de développement annoncé en 2016 par Mohammed ben Salmane vise à diversifier l’économie de l’Arabie saoudite. La culture et le tourisme sont l’un des volets de ce plan qui met en ébullition de nombreux acteurs. En France, on connaît bien le site d’Al-Ula, dont s’occupe une agence sur le modèle du Louvre Abu Dhabi, et pour lequel le Centre Pompidou va aider à la réalisation d’un musée d’art contemporain. L’agence française Manifesto a même créé une structure ad hoc pour être présente en Arabie. Porté par l’explosion de la demande, le marché de l’ingénierie culturelle commence à se structurer avec une multitude d’acteurs occupant une partie de la chaîne de services. CMS estime pouvoir non seulement concevoir une offre culturelle, mais aussi la mettre en œuvre, ce qui n’est pas le cas de la plupart des prestataires.
Et la France ? C’est le grand paradoxe de CMS. Alors que Chargeurs est une entreprise française, avec un actionnaire français, ayant mis à la tête de son pôle Chargeurs Museum Studio une Française, le marché hexagonal reste marginal. « Contrairement à de nombreux pays dans le monde, en France la puissance publique est l’acteur principal dans la mise en œuvre des projets culturels, laissant moins de place au privé, relève Delphine de Canecaude. Nous concevons et produisons des expositions, mais nous ne souhaitons pas pour l’instant prendre des sites patrimoniaux en gestion, comme le font Culturespaces, Kleber Rossillon ou Edeis. » Il est vrai que la demande se concentre aujourd’hui principalement dans le conseil, pour lequel de nombreux acteurs se sont positionnés : des opérateurs publics (le Centre des monuments nationaux), des agences spécialisées (Manifesto, Le Troisième Pôle…), un groupe de presse (Beaux Arts & Cie).
Signe d’un début de maturité du marché, des rapprochements se font jour. Ainsi le groupe de communication Mazarine est en train de finaliser l’acquisition d’Arter, qui occupe avec Eva Albarran & Co un sous-secteur très rentable, celui de la production des œuvres d’art contemporain. « Même si la France n’est pas notre premier marché, il est important pour nous d’y être présents et nous avons d’ailleurs récemment répondu à plusieurs appels d’offres, dont celui du Louvre qui souhaite renouveler ses audioguides (en partenariat avec Rewind) », reconnaît Delphine de Canecaude, qui se félicite des ouvrages publiés en collaboration avec de grandes institutions.
Qu’est-ce que le groupe Chargeurs ?
Chargeurs est à l’origine une société française de liaison maritime créée au XIXe siècle, qui se développe dans le transport jusqu’à son rachat en 1983 par Jérôme Seydoux. L’entreprise se désengage alors de ce secteur pour se développer dans le textile puis dans les médias (Pathé, Libération…). Les deux secteurs sont scindés en deux en 1995, Chargeurs conservant les activités industrielles. En 2015, Michaël Fribourg rachète les participations de Jérôme Seydoux puis lance en début d’année 2024 une OPA sur l’entreprise (chiffre d’affaires 2023 : 653 M€) lui permettant d’en devenir l’actionnaire majoritaire. Issu de la haute fonction publique (ENA puis Inspection générale des finances), Michaël Fribourg (42 ans) a décidé de diversifier les activités, notamment en créant Chargeurs Museum Studio.
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Chargeurs, leader mondial dans le service au patrimoine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : Chargeurs, leader mondial dans le service au patrimoine