PARIS
Emmanuel Macron avait promis en 2017 de rendre à l’Algérie ces crânes de combattants remontant aux guerres coloniales.
Perdus dans la collection de 18 000 crânes du Musée de l’Homme, les têtes décapitées de résistants algériens ont longtemps été oubliées. C’est le travail d’un historien algérien, Ali Farid Belkadi, qui a mis au jour dans ces réserves des dizaines de crânes appartenant à des combattants de la résistance à la colonisation française au XIXe. Parmi ces crânes, des anonymes côtoient des chefs de guerre, comme Chérif Boubaghla, initiateur d’une révolte populaire en 1851, ou Cheikh Bouziane qui a tenu le siège de Zaâtcha durant quatre mois en 1849.
Ils sortent de l’oubli en 2011 lorsque Ali Farid Belkadi partage sa découverte en lançant une pétition. Il y fait part de son indignation de voir des « manquements détestables aux règles morales les plus rudimentaires », et s’appuie sur la récente loi concernant le rapatriement des têtes maoris pour étayer sa demande de restitution. Cette pétition s’adresse aux gouvernements français et algérien, que l’historien somme « d’agir en commun ». Mais le sujet ne semble intéresser personne.
En mai 2016, l’écrivain Brahim Senouci relance une pétition sur le sujet, et récolte près de 30 000 signatures. Dans son sillage, une tribune signée par des intellectuels français et algériens paraît deux mois plus tard dans les colonnes du Monde, en soutien aux demandes de retour des dépouilles en Algérie. Parmi eux, l’écrivain Didier Daeninckx, Benjamin Stora, historien spécialiste de la guerre d’Algérie, ou Mohammed Harbi, ancien membre du FLN et universitaire.
Cette tribune insiste sur le contexte particulièrement sanglant du siège de Zaâtcha, dont des crânes de la collection sont issus, notamment celui de Cheikh Bouziane, chef de la révolte, et celui de son fils âgé de 15 ans. S’il existe des traces de la manière dont ces têtes furent traitées après la décapitation (plantées au bout d’un pic et exposées pour effrayer la population algérienne), les historiens n’ont pas encore reconstitué leur voyage jusqu’au Musée de l’Homme. Ils s’interrogent également sur la pratique courante de la décapitation et de conservation des crânes par l’armée française, sur laquelle la documentation fait défaut.
En octobre 2017, une première demande de restitution est formulée côté algérien, mais pas par le gouvernement. C’est l’Organisation nationale des Moudjahidine (association d’anciens combattants) qui exige la restitution des crânes à la France, afin de les inhumer dans les cimetières des martyrs en Algérie.
En décembre 2017, Emmanuel Macron, s’exprime sur le sujet. « Je souhaite […] que la restitution des crânes soit décidée, je la déciderai, je suis prêt », confie-t-il alors au site algérien TSA. Une déclaration cohérente avec le positionnement d’Emmanuel Macron vis-à-vis de la « question de la mémoire » franco-algérienne : lors de son premier voyage diplomatique en Algérie il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ».
Il faut attendre 8 ans après la première pétition pour qu’une demande de restitution soit formulée par le gouvernement algérien. En janvier 2018, l’ambassadeur d’Algérie en France est chargé par le ministre des Affaires étrangères de déposer deux demandes de restitutions, concernant les archives de la colonisation, et les fameux crânes du Musée de l’Homme. La demande déposée sur le bureau de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, est cosignée par son homologue algérien et le ministre des Moudjahidine, équivalent du ministre des anciens combattants.
Au printemps 2018, Ali Farid Belkadi fait part de l’état de ses recherches sur le sujet, avec notamment un nouveau recensement des crânes effectué à la demande du ministère des Moudjahidine. Au 18 avril 2018, l’historien dénombre 536 crânes algériens dans les réserves du musée parisien, parmi lesquels quelques crânes préhistoriques. « Tous n’ont rien à faire en France » rappelle Ali Farid Belkadi, qui annonce également la réouverture d’un autre dossier : celui des dépouilles des déportés algériens en Nouvelle-Calédonie.
Au printemps 2019, le processus de restitution stagne faute d’avancées d’un côté comme de l’autre. Ce sont les réseaux sociaux qui commencent alors à s’emparer du sujet, et l’on voit des internautes, francophones, anglophones et arabophones s’indigner du traitement de ces dépouilles par la France. Rachid Zerrouki, professeur des écoles très suivi sur Twitter, provoque alors une réaction du Musée de l’Homme. Sur le site de microblogging, l’institution indique être pleinement impliquée dans le processus de restitution, un « processus long et complexe qui nécessite de faire appel à une loi de circonstance ». Comme ce fut le cas pour les dépouilles Maoris.
Le nombre de crânes conservés par le Musée de l’Homme fluctue selon les sources. La pétition lancée par Brahim Senouci et la tribune publiée par le Monde n’indiquent d’ailleurs aucun chiffre. Dans son texte de 2011, Ali Farid Belkadi lance simplement un ordre de grandeur en évoquant « plusieurs dizaines » de dépouilles liées à la résistance algérienne.
Début 2018, certaines sources journalistiques algériennes évoquaient le nombre de 37 crânes. Au même moment, Ali Farid Belkadi parlait de 68 crânes de résistants au micro de France 3. Quelques mois plus tard, son travail d’inventaire l’amène à avancer le chiffre de 536 crânes. Derrière ce chiffre, l’historien ne comptabilise pas seulement les crânes des résistants algériens, mais tous les crânes provenant d’Algérie : il rappelle toutefois que la majorité d’entre eux serait lié aux épisodes sanglants du XIXe siècle. Dans sa récente réaction en ligne, le Musée de l’Homme parle de 41 crânes algériens, dont 7 seulement sont associés aux guerres de colonisation.
Belkadi considère qu’au moins 70 crânes proviennent du siège de Zaâtcha, lorsqu’un conservateur du musée affirmait en 2016 au micro de Là-bas si j’y suis que seul le crâne de Cheikh Bouziane et celui de son fils provenaient de cet épisode, et comptait 36 crânes algériens au total.
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Des crânes de résistants algériens conservés au Musée de l’Homme attendent toujours d’être restitués
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