Si la restauration est depuis toujours source de polémiques, avec les créations des grands musées au XIXe siècle, celles-ci ont pris un tour nouveau.
La polémique est presque consubstantielle à la restauration. La restauration change l’apparence d’une œuvre, donc cela porte atteinte à l’image intégrée par le public de l’œuvre d’art qu’il a faite sienne, explique Pierre Curie, responsable de la filière Restauration peinture du C2RMF. Il y a eu, il y a et il y aura des réactions de rejet, d’incompréhension. » L’idée que la restauration falsifie, voire assassine l’art est d’ailleurs un leitmotiv dès les débuts de la discipline. À partir du XIXe siècle, période de création des grands musées, cette dimension passionnelle devient une constante de la vie culturelle. La restauration des Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt au Louvre, en 1894, est un cas d’école. Son histoire est pour le moins rocambolesque : le tableau faisant l’objet d’un revernissage jugé trop brillant, un gardien de salle décide de son propre chef d’enlever l’excédent de vernis de manière rudimentaire, pour apaiser les esprits. La polémique enfle alimentée par les artistes, dont Degas, et une campagne de presse virulente accuse le musée d’avoir altéré le maître du Siècle d’or. Les querelles de cette nature, et plus généralement portant sur le respect de la patine, ressurgissent régulièrement.
La Cène de Vinci, une fresque « contemporaine »
Mais les critiques prennent une ampleur sans précédent à la fin du XXe siècle, à la faveur d’une intense démocratisation culturelle et de campagnes de restauration spectaculaires, souvent sponsorisées par des grandes firmes accentuant encore la défiance. La restauration des fresques de Michel-Ange de la chapelle Sixtine à Rome, achevée en 1989, met ainsi le feu aux poudres. Au terme d’un vaste chantier, le monde entier découvre une œuvre transfigurée. Ses couleurs sombres connues depuis des siècles laissent place à une palette vive et acide qui contrecarre l’image romantique et ténébreuse du génie. De nombreuses voix crient à la trahison esthétique, blâmant les restaurateurs d’avoir retiré non seulement la gangue de saleté, de colle et de fumée, mais aussi les retouches voulues par le créateur. Ils auraient volontairement retiré le voile qui unifiait l’ensemble, et donc falsifié l’intention de l’artiste, pour offrir aux touristes des couleurs plus séduisantes ; une hypothèse invalidée par des chercheurs.
Mais la polémique est parfois fondée ; à l’image de la rénovation – le terme de restauration étant ici impropre – de La Cène peinte par Léonard de Vinci dans le couvent de Santa Maria delle Grazie à Milan. Une icône très altérée, en raison de la forte humidité du lieu mais aussi de la technique du peintre, Léonard ayant utilisé la détrempe et non la fresque, un matériau peu adapté à la peinture murale. L’intervention achevée en 1999 a été drastique : les repeints anciens ont été enlevés mais, au lieu de révéler la matière originale, cette opération n’a fait apparaître que de maigres vestiges de la peinture de Léonard et, surtout, de grands pans de mur nu. L’ensemble a été unifié avec des ajouts à l’aquarelle donnant une trompeuse illusion d’unité. De sorte qu’aujourd’hui on contemple davantage une peinture contemporaine qu’une création de Léonard.
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Ces restaurations qui ont fait polémique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Ces restaurations qui ont fait polémique