En 2022, trois sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco et un site candidat sont présents parmi les 18 projets emblématiques de la Mission Stéphane Bern. Au risque d’un éloignement d’avec la mission initiale de la Fondation du patrimoine : aider le patrimoine non protégé.
France. Pour sa 5e édition, la Mission Stéphane Bern change de braquet : la liste des 18 sites emblématiques pour 2022 comporte trois biens en péril inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco, un autre qui souhaite le devenir dans un avenir proche, ainsi qu’un lieu patrimonial majeur faisant partie des sites olympiques de Paris 2024, le haras national du Pin, dans l’Orne, surnommé le « Versailles du cheval ». Une sélection loin des sites ruraux, méconnus, dont les projets de réhabilitation nécessitent un coup de pouce pour boucler leur tour de table financier. Abritée par la Fondation du patrimoine, dont la raison d’être originelle est la préservation du patrimoine rural non protégé, la Mission de l’animateur télé semble ainsi évoluer vers une assistance médiatique et financière à des projets de plus grande ampleur.
Exemples : dans le département du Nord, le bassin minier fête les 10 ans de son inscription sur la Liste du patrimoine mondial : aux nombreux motifs de satisfaction faisant suite à cette reconnaissance (une réhabilitation du logement patrimonial volontaire, de nouveaux équipements culturels de qualité), se mêle l’inquiétude suscitée par l’état d’une grosse dizaine de sites inclus dans le bien estampillé Unesco. Et sur le territoire du bassin minier, le chevalement 9-9 bis d’Oignies (Pas-de-Calais), également labellisé, est en déshérence, malgré l’arrêté de péril qui le frappe depuis 2020 : il fait l’objet d’une réhabilitation d’urgence à 5 millions d’euros de la part de la commune, quand d’autres demeurent orphelins de porteurs de projet, publics ou privés. Cette première attention de la collectivité a peut-être décidé la Mission Bern d’en faire l’un des 18 sites qui orneront les tickets à gratter de la Française des jeux.
L’inscription est plus récente dans l’Allier, pour le patrimoine thermal de Vichy. Actée l’année passée dans le cadre d’une candidature transnationale, elle vient de faire l’objet d’une convention signée en février entre l’État et la Ville : 11,5 millions d’euros sur la période 2022-2026 sont débloqués pour la préservation du bien inscrit, et notamment le Parc des sources et ses galeries couvertes. Insuffisant, apparemment : la Mission Bern a lancé une souscription à l’objectif ambitieux d’1 million d’euros pour compléter les efforts de l’État dans la préservation des promenoirs, kiosques, éléments de mobilier urbain du parc.
En Bourgogne, le prieuré de La Charité-sur-Loire a profité de l’effet d’aspiration d’une inscription Unesco en 1998, au sein du bien transnational des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, pour lancer un long chantier de rénovation dès 2001. Bénéficiant à ses débuts de subventions en provenance de l’Union européenne, de l’État et de toutes les collectivités territoriales impliquées, ce marathon patrimonial fait désormais appel à la générosité des donateurs et à la cagnotte du Loto du patrimoine pour franchir la ligne d’arrivée.
Si la Mission Bern pallie l’essoufflement en fin de parcours des crédits publics dans la Nièvre – en collectant 1/5e du coût des travaux –, dans l’Hérault elle porte un dossier Unesco qui pour l’heure n’est même pas sur la ligne de départ. À Montpellier, le plus ancien Jardin des plantes de France est au cœur du projet d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’histoire universitaire et scientifique de la ville, autour de la faculté de médecine. La Maison de l’intendance du Jardin des plantes fait partie des 18 sites emblématiques sélectionnés en 2022 : sa réhabilitation est « essentielle » à la candidature Unesco de Montpellier, précise le site de la Mission. Une candidature qui existe à ce jour seulement dans les discours des élus locaux.
À chaque étape des dossiers Unesco français, la Mission Bern apporte son assistance au ministère de la Culture. Ce n’est pas une première, puisqu’en 2019 le beffroi de Béthune (Pas-de-Calais) – l’un des 32 beffrois de France et de Belgique inscrits en 1999 – profitait déjà de la manne du Loto du patrimoine. Mais à voir les sommes allouées par la loterie à un bien nouvellement inscrit (1 M€ pour Vichy, soit près de 10 % de la somme obtenue grâce à la convention avec l’État), dont l’attrait de la nouveauté peut attirer mécènes privés comme crédits publics, l’intervention de la Mission semble devenir décisive. Au détriment de patrimoines moins médiatiques ?
C’était en substance une remarque formulée par les députés Sophie Mette (Modem) et Michel Larive (LFI) dans le cadre d’une mission d’évaluation « flash » du dispositif, menée dès 2019. « Pour certains, l’opération a manqué de clarté dans ses objectifs : initialement lancée pour permettre la conservation du petit patrimoine en péril, elle aurait finalement été dévoyée pour financer des opérations relevant essentiellement de l’État, à travers les Drac [directions régionales des Affaires culturelles], ou le Centre des monuments nationaux, et concernant finalement assez peu le patrimoine non protégé appartenant à des propriétaires privés », notaient les élus, qui dénombraient, dans la liste des projets emblématiques de la Mission Bern, 73 % de projets portant sur des biens classés ou inscrits.
La présence de nombreux biens du Patrimoine mondial dans la cuvée 2022 confirme cette tendance, et ne contribue pas à éclaircir l’objectif de cette Mission, qui, pour Jean-Paul Ciret, codirecteur de l’observatoire de la culture à la Fondation Jean-Jaurès, méritait dès l’issue de sa première édition d’être « mieux cerné ». « Faut-il trouver des recettes complémentaires pour les monuments anciens, y compris ceux qui bénéficient de mesure de protection ? Ou bien faut-il mettre en place des dispositions spéciales pour des bâtiments que la puissance publique ne considère pas comme prioritaires mais qui, sans pouvoir attirer de nombreux touristes, méritent d’être sauvegardés au titre d’une mémoire et d’une histoire locale ? », interrogeait-il alors. À regarder la liste des projets phares de 2022, la Mission Bern a choisi de ne pas choisir : les biens du Patrimoine mondial y côtoient le cinéma Atlas des Anses d’Arlet en Martinique ou le château de Quenza en Corse, deux monuments dénués de protection patrimoniale.
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« Bern » s’écarte un peu plus de sa mission originelle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : « Bern » s’écarte un peu plus de sa mission originelle