Architecture

Auguste Perret, la noblesse du béton

Par Eva Bensard · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2004 - 873 mots

Alors que la ville du Havre est proposée pour être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, l’IFA présente à Paris une importante exposition consacrée à l’architecte de « l’ordre du béton armé ».

PARIS - Présentée au Havre en 2002 (lire le JdA n°156, 11 octobre 2002) et à Turin en 2003, l’exposition consacrée à Auguste Perret (1874-1954) fait enfin halte à Paris, dans les locaux de l’Institut français d’architecture (IFA), à l’origine du projet. Les espaces du palais de la Porte-Dorée (ancien Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie) se prêtent idéalement à cette rétrospective. C’est en effet de part et d’autre de la salle des fêtes conçue dans les années 1930 par Laprade et couronnée d’une couverture à gradins en béton armé que se déploie le parcours de visite. Mais, au-delà de cette syntonie avec le sujet de l’exposition – Perret fut l’un des premiers à faire un large emploi du béton en architecture –, le lieu met en valeur par ses vastes volumes les photographies, relevés, coupes, élévations, maquettes au 1/33 (dont 17 ont été réalisées pour l’occasion) et éléments de mobilier réunis.

À la fois chronologique et thématique, le parcours offre un condensé réussi et didactique de l’œuvre et de la longue carrière d’Auguste Perret et de ses frères cadets (Gustave et Claude), de l’apprentissage à l’école des beaux-arts au début des années 1890, à Paris, à l’élaboration d’un nouvel ordre urbain après la Seconde Guerre mondiale.

Modernité et ordre classique
Fils d’un tailleur de pierre et entrepreneur, Auguste Perret a pour premiers modèles deux représentants de la pensée rationaliste du XIXe siècle, Viollet-le-Duc et Julien Guadet, son professeur aux Beaux-Arts. Cet héritage, conjugué à une solide formation académique, constitue l’une des composantes essentielles du style Perret, mélange subtil de modernité et de retour à l’ordre classique. « Si nous voulons accéder au sens profond de l’œuvre de Perret, il ne suffira pas de parler de l’architecture du béton armé et de sincérité constructive […]. Nous devons également repenser aux termes à l’intérieur desquels elle se pose : l’aspiration classique d’un pan entier de la culture française dans le premier quart de siècle, de Valéry à Bourdelle, de Maurice Denis à Gide même », rappelle Vittorio Gregotti dans un article consacré à Auguste Perret (1). À la fois constructeur  et architecte – l’agence qu’il crée avec ses frères relève autant du cabinet d’architecture  que de l’entreprise de bâtiment –, ce dernier livre sa première œuvre novatrice, l’immeuble du 25 bis de la rue Franklin à Paris, en 1903. Ossature de béton armé revêtue de céramique, ce « jalon de l’époque moderne », selon les termes de Le Corbusier, ouvre la voie à une série de réalisations conférant au béton (alors considéré comme un matériau industriel) une nouvelle esthétique. Ainsi du garage de la rue Ponthieu (1906), aujourd’hui détruit, du Théâtre des Champs-Élysées à Paris (1910-1913), expression d’un classicisme moderne, de l’église Notre-Dame-de-la-Consolation au Raincy (1922-1923), « Sainte-Chapelle du béton armé », ou encore de la salle Cortot (1929-1929) et de l’immeuble du 51-55, rue Raynouard, toujours dans la capitale, où les Perret installent leur agence et appartements en 1932. Dans les hangars comme dans les lieux de culte, de spectacle ou d’habitation, triomphent rigueur des lignes, sobriété des ornements et souci du matériau, tour à tour masqué et apparent. « Faisant au béton l’honneur de le tailler, de le boucharder, de le layer, de le ciseler, nous avons obtenu des surfaces dont la beauté fait trembler les marchands de pierre », s’enorgueillait Auguste Perret. En témoigne notamment le Musée des travaux publics (1938-1946, actuel Conseil économique et social), forme la plus accomplie d’un nouvel ordre architectural classique, « l’ordre du béton armé ».

Pan moins connu de la production des Perret, la conception d’ensembles mobiliers est évoquée en deuxième partie de l’exposition, à travers un choix de dessins et de meubles originaux. « Mobile ou immobile, tout ce qui occupe l’espace appartient au domaine de l’architecture », proclamait Auguste. Démonstration au 51, rue Raynouard, où l’architecte agença les pièces et dessina, avec la sobriété qui le caractérise, des fauteuils, canapés, tables et bibliothèques alliant confort et élégance. Enfin, le parcours fait la part belle à l’œuvre d’urbaniste des Perret, en évoquant les grands projets jamais réalisés (le siège de la Société des Nations à Genève, le Palais des Soviets à Moscou) et les vastes entreprises de reconstruction des années 1940 : la place de la gare à Amiens et surtout le centre du Havre, rasé par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale et entièrement repensé par l’agence Perret (lire l’article ci-dessous). L’actuelle proposition du gouvernement français d’inscrire la ville, dernier chantier d’Auguste Perret, au patrimoine mondial de l’Unesco, constitue une étape historique dans la reconnaissance d’un site urbain aussi novateur que décrié.

(1) « Classicisme et rationalisme chez Auguste Perret », in Domus n° 534, 1974.

PERRET, LA POÉTIQUE DU BÉTON, jusqu’au 18 avril, Institut français d’architecture/Cité de l’architecture et du patrimoine, palais de la Porte-Dorée, 293, av. Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 58 51 52 00, tlj sauf mardi, 10h-17h. - À lire : L’Encyclopédie Perret, coéd. Monum, Éd. du patrimoine/Le Moniteur, 500 p., 59 euros, et Karla Britton, Auguste Perret, éd. Phaidon, 256 p., 59,95 euros.

Itinéraire Perret à Paris

En complément de l’exposition, l’IFA propose un programme de promenades urbaines autour de l’œuvre d’Auguste Perret (inscription au 01 58 51 52 82). Avec ou sans guide, voici les principales réalisations de l’architecte-constructeur à Paris et en Île-de-France. Immeuble et agence 25 bis, rue Benjamin-Franklin, 75116 ; M° Trocadéro. Édifié en 1903-1904, l’édifice marque un jalon important dans la pensée architecturale moderne. Premier immeuble d’habitation en béton armé, il est habillé d’une riche gamme de revêtements en céramique. Ce n’est qu’à la fin des années 1920 que « l’ossature apparente affirme progressivement son hégémonie », souligne James Njoo dans L’Encyclopédie Perret. Théâtre des Champs-Élysées (1910-1913), 15, av. Montaigne, 75008 ; M° Alma-Marceau. Appelés comme entrepreneurs par l’architecte Van de Velde, les Perret deviennent rapidement l’âme du projet. Cette réalisation, à laquelle collaborèrent pour le décor Maurice Denis et Antoine Bourdelle, donnera un tour nouveau à leur carrière. Église Notre-Dame-de-la-Consolation (1922-1923), 83, av. de la Résistance, Le Raincy ; RER E, Le Raincy-Villemonble. Édifié en treize mois avec des moyens limités, ce sanctuaire aux allures de hangar eut un retentissement considérable à son achèvement. Il présente une nef de plus de 1 000 m2 en béton armé. Salle Cortot de l’École normale de musique (1928-1929), 76, rue Cardinet, 75017, M° Malesherbes. « Pour moi, qui ai été témoin du coup de génie par lequel il [Auguste Perret] a transformé un emplacement défavorable en un amphithéâtre dont les lignes évoquent la perfection grecque tout en s’inspirant de ce modernisme raffiné dont le Théâtre des Champs-Élysées offre le plus bel exemple qui soit au monde, je ne puis que le remercier d’avoir donné aux mélomanes comme aux virtuoses le cadre idéal […]. Il nous avait dit : “Je vous ferai une salle qui sonne comme un violon.�? Il a dit vrai. Mais il se trouve – ce qui dépasse nos espérances – que ce violon est un Stradivarius », déclara Alfred Cortot après sa réalisation. Immeuble du 51-55, rue Raynouard, 75016 ; M° Bir-Hakeim. Cet immeuble en proue de navire a été construit par les Perret pour abriter leur agence et leurs appartements personnels. « C’est l’ossature du béton armé, composée pour rester apparente à l’intérieur comme à l’extérieur, qui orne la maison », expliqua Auguste. Mobilier national (1934-1936), 1, rue Berbier-du-Mets et rue Croulebarbe, 75013 ; M° Gobelins. Réalisation décisive dans l’élaboration d’un « ordre du béton armé », ce palais urbain répond à un programme complexe, puisqu’il devait abriter à la fois des entrepôts, ateliers de restauration, bureaux, appartements et un musée. Musée des travaux publics (1936-1948), actuel siège du Conseil économique et social, 9, place d’Iéna, 75116 ; M° Iéna. Architecture-manifeste de « l’ordre du béton armé », l’édifice est doté d’une double ossature et d’une vaste colonnade inspirée de la tradition classique. Pour en savoir plus : www.archi.fr/IFA-CHAILLOT

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Perret, la noblesse du béton

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