Archéologie

Archéologie sous-marine : des trésors très convoités

Par Cristina Ruiz · Le Journal des Arts

Le 6 octobre 2000 - 1936 mots

Alors que Butterfields met en vente un important ensemble de céramiques orientales découvert dans un navire vietnamien échoué vers 1500, une décision de justice américaine remet en cause les usages relatifs à la découverte et à l’exploitation des épaves. Par ailleurs, la convention en cours d’élaboration à l’UNESCO devra répondre aux questions suivantes : qui est en droit de revendiquer la propriété des vaisseaux immergés et le butin qu’ils renferment, et comment gérer au mieux ce patrimoine culturel sous-marin ?

LONDRES (de notre correspondant) - Tandis que plusieurs pays ont pris des mesures pour la conservation et la gestion des épaves historiques découvertes dans leurs eaux territoriales, il n’existe aucune réglementation pour les épaves situées dans les eaux internationales. Rien n’y est prévu légalement pour la protection des sites sous-marins, et les juridictions souveraines compétentes sont rares, voire inexistantes.

Les archéologues mettent en garde : sans barrières légales internationales, des multinationales avec d’énormes moyens technologiques et financiers, à la recherche d’épaves déterminées pour la cargaison qu’elles pourraient renfermer, vont transformer la haute mer en Far West.

Ces sociétés, qualifiées par la communauté archéologique de chasseurs de trésor, ont pour habitude de vendre des actions au public dans le cadre de partenariats limités. Ces investissements servent de fonds de financement pour l’utilisation de technologies sous-marines qui permettent aujourd’hui de localiser et de récupérer pratiquement tout ce qui a été perdu au fond des mers. Ces technologies mettent en œuvre des bateaux commandés par GPS (Global Positioning Systems) remorquant des barges chargées de sonars, de détecteurs d’anomalies magnétiques et de caméras. Les investisseurs sont rémunérés en fonction des bénéfices générés par la vente des objets et, parfois, par la vente de licences d’accès aux droits photographiques et cinématographiques.

Comme les fouilles scientifiques approfondies sont onéreuses et requièrent du temps, les opérations de sauvetage archéologiques sont généralement limitées à la récupération du butin : le reste est ignoré ou détruit. Certains sauveteurs d’épaves s’emploieront, autant que possible, à essayer de retrouver le premier propriétaire du navire ou ses héritiers afin de parvenir à un accord ; d’autres ne le feront jamais.

En règle générale, les tribunaux américains attribuent aux sauveteurs la propriété des épaves abandonnées dans les eaux territoriales d’un pays ou dans les eaux internationales, en se fondant sur le principe de l’“inventeur-propriétaire”. Ces décisions n’avaient jamais été remises en cause.

La question espagnole
En juillet dernier, une cour d’appel fédérale de l’État de Virginie a retiré les droits de propriété de deux frégates espagnoles à la société américaine qui les avait découvertes dans les eaux territoriales de Virginie, et les a accordés à l’Espagne. La Galga a sombré au large des côtes des îles d’Eastern Shore, Virginie, en 1750 et le Juno, prétendument chargé d’or et de pièces de monnaie, a coulé quelques kilomètres plus loin en 1802. En 1996, la Sea Hunt, société de sauvetage de Virginie, a découvert les épaves et a obtenu un permis de fouilles délivré par l’État conformément à l’Abandoned Shipwreck Act (loi sur la propriété des épaves). Cette loi fédérale, ratifiée en 1987, réglemente la compétence juridictionnelle des États en ce qui concerne les épaves abandonnées situées dans les eaux territoriales. En échange, la Sea Hunt devait céder à l’État de Virginie plusieurs des objets remontés des fonds sous-marins et 25 % des bénéfices générés par la vente du butin.

En 1998, une cour fédérale a accordé à la Sea Hunt les droits exclusifs pour le sauvetage. En réaction, l’Espagne a intenté un procès, revendiquant la propriété et la jouissance des vaisseaux et avançant qu’elle n’avait jamais abandonné les navires. C’était la première fois que l’Espagne réclamait ses droits souverains sur des vaisseaux espagnols disparus en mer. Jusqu’alors, ce pays avait gardé le silence, tandis que les sauveteurs privés récoltaient les bénéfices issus de l’exploitation des navires espagnols retrouvés au fond de la mer.

En 1985, l’Américain Mel Fisher a découvert l’épave de la Nuestra Señora de Atocha, galion qui a sombré au large des Florida Keys en 1622. Mel Fisher a pu récupérer un butin constitué d’or, d’argent et de bijoux et estimé à 400 millions de dollars. L’Espagne n’a pas revendiqué de droits sur ce trésor.
La plainte déposée par l’Espagne au sujet du Juno et de La Galga était appuyée par la Grande-Bretagne et par les ministères américains de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la Justice, selon lesquels accorder les droits de propriété de navires étrangers à des sociétés commerciales ouvrirait la voie à des agissements similaires concernant les vaisseaux américains disparus dans les eaux internationales.

Le Fourth Circuit Court of Appeals (cour d’appel) américain, qui a rendu à l’Espagne ses droits souverains sur les deux épaves, a estimé que sa décision était “indispensable afin d’assurer la protection des épaves et des sites militaires névralgiques américains”.

Rien ne permet de savoir pour l’instant si Ben Benson, président de Sea Hunt, Inc., qui a dépensé quelque deux millions de dollars en travaux préliminaires en vue du sauvetage et en taxes diverses, fera appel de la décision de la Cour suprême.

Cette décision crée un précédent important pour les pays ayant un long passé maritime. En effet, les avancées technologiques sont telles qu’ils vont devoir revendiquer la propriété de leurs vaisseaux disparus en mer s’ils ne veulent pas risquer de les perdre au profit des sauveteurs d’épaves privés. Elle prouve également que les subventions accordées selon le principe de l’“inventeur-propriétaire” peuvent être remises en cause par d’autres pays, mais aussi par d’autres sauveteurs potentiels.

La réaction de l’UNESCO
De son côté, l’UNESCO demande l’élaboration d’un traité international afin que des intérêts commerciaux ne conduisent pas à la destruction d’épaves retrouvées dans les eaux internationales. Depuis juin 1998, la première ébauche de ce traité est rédigée par des experts gouvernementaux venus du monde entier. Pour l’instant, le traité provisoire exige une réglementation pour les travaux de sauvetage entrepris sur des sites en eaux internationales et interdit catégoriquement la vente des objets repêchés datant de plus d’un siècle. En outre, il stipule que toute opération de sauvetage sera interdite à moins que les conditions de conservation et d’exposition dans les musées des objets retrouvés n’aient été établies à l’avance. Ces objets seront considérés comme une collection et ne pourront être dispersés, et les musées devront s’engager, définitivement, à ne pas les céder.

Dans un entretien à The Art Newspaper, Greg Stemm, directeur de la société commerciale d’exploration, Odyssey Marine Exploration, et membre de la délégation américaine pour l’étude de la convention provisoire à l’UNESCO, a déclaré : “La plupart des parties impliquées reconnaissent qu’il est nécessaire de mettre en place des mécanismes objectifs. Mais en l’état actuel, la convention n’est pas applicable. La législation proposée par l’UNESCO est motivée par la volonté de combattre le sauvetage illicite d’épaves, ce que l’on peut comprendre. D’après les prises de positions que nous avons pu remarquer lors des dernières réunions à l’UNESCO, à Paris, les États-Unis, voire la Grande-Bretagne, hésiteront peut-être à signer ou à ratifier une convention qui interdit la prise en charge d’objets provenant d’épaves de plus de cent ans par un secteur d’activité privé, ou la cession de ces mêmes objets. Ces deux pays ont signifié qu’ils souhaiteraient qu’une évaluation soit réalisée afin de déterminer l’intérêt archéologique du patrimoine culturel sous-marin.”

Étant donné que seuls les pays ayant ratifié le traité seront tenus de le respecter, et que 70 % de la capacité de travail dans les profondeurs sous-marines est concentrée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il sera pratiquement impossible de l’appliquer aux eaux internationales si ces deux pays clés ne le signent pas.

Par ailleurs, on ne peut exclure le risque qu’avec une législation draconienne le commerce, aujourd’hui licite, des objets repêchés ne devienne clandestin. “Certains pays qui interdisent l’accès aux épaves ne peuvent plus prétendre à une éventuelle collaboration avec les sauveteurs du secteur privé et donc conserver les objets de valeur pour leurs musées nationaux”, considère Greg Stemm. “Il existe un risque que les objets disparaissent de façon illicite si on ne met pas en place un système qui dédommagerait les inventeurs de trésor et les sauveteurs. Les objets précieux comme les lingots d’argent  et les canons en bronze seront très vraisemblablement fondus et les informations historiques perdues à jamais. Ce risque n’existe pas aux États-Unis où les activités archéologiques dépendant du secteur privé sont encouragées et récompensées.”

Un code de bonne conduite
Greg Stemm pose sa société en modèle de collaboration entre les sauveteurs, la communauté archéologique et les États. “Lorsque nous avons fondé Odyssey il y a quatorze ans, nous avons vite compris qu’avec l’avancée de cette industrie, de nombreuses personnes revendiqueraient la propriété d’épaves retrouvées dans les eaux internationales. Nous avons décidé de travailler en gardant présent à l’esprit que chaque épave retrouvée appartient à quelqu’un, au moins moralement si ce n’est légalement. Dès que nous faisons une découverte, nous prenons contact avec les parties intéressées et travaillons avec elles. C’est une approche correcte d’un point de vue de l’éthique et très cohérente d’un point de vue commercial.”

En 1996, Greg Stemm a fondé la Professional Shipwreck Explorers Association (association des explorateurs professionnels d’épaves) et a participé à l’élaboration d’un code détaillé d’éthique destiné aux sauveteurs privés.

Ce code, imposé par la profession elle-même, stipule que “toute connaissance historique et archéologique dérivée du sauvetage d’épaves appartient au domaine public, et que cette responsabilité incombe au directeur de la mission d’exploration, des fouilles ou du sauvetage de l’épave afin que tout soit mis en œuvre pour exploiter autant que possible toutes les données scientifiques, historiques et archéologiques”.

Ce code préconise également la présence d’un archéologue pour tous les sauvetages d’épaves susceptibles de présenter un intérêt historique ou archéologique, afin que “seuls les objets ayant été soumis à un examen et à une enquête approfondis du projet” puissent être proposés à la vente. “Les objets qui pourraient être d’une valeur archéologique et historique irremplaçable [...] devraient être rassemblés dans une collection dont l’accès sera autorisé à toute personne désireuse de mener des recherches légitimes”.

Pour Greg Stemm, “la stipulation de l’UNESCO, selon laquelle tous les objets de plus de cent ans ne pourront être récupérés que s’ils sont conservés et stockés à perpétuité dans un musée public, est aberrante. Il faudrait établir un système qui permette de distinguer les objets présentant un intérêt archéologique significatif et devant être conservés par des musées, des marchandises produites en masse et présentant un intérêt archéologique moindre.”

Les difficultés relatives à la conservation des épaves sont considérables. Selon Greg Stemm : “le traité provisoire de l’UNESCO vise à définir un cadre pour la gestion et l’exploitation de richesses que personne n’a encore quantifiées. L’estimation la moins exagérée concernant le nombre d’épaves méconnues dans le monde entier se chiffre à trois millions, mais certaines personnes estiment qu’elles pourraient être au nombre de trente millions. Cela revient un peu à essayer de définir un plan d’action pour assurer la conservation de tous les bâtiments de plus de cent ans dans tous les pays du monde.”

Tandis que l’UNESCO continue à se débattre avec les points épineux de sa convention, il est certain qu’exclure les sauveteurs et les explorateurs du secteur privé en instaurant une législation prohibitive ne peut être qu’une mesure contre-productive. Les États ont besoin de travailler en collaboration avec ces sociétés disposant de moyens financiers importants s’ils veulent mener à bien les recherches en mer profonde, qui sont onéreuses, afin de récupérer les objets archéologiques. De telles opérations peuvent représenter un coût journalier de 50 000 dollars, en fonction de la profondeur et du type d’équipement utilisé.

La prochaine réunion de l’UNESCO concernant la convention provisoire est prévue pour avril 2001.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Archéologie sous-marine : des trésors très convoités

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