PARIS
Le Musée Cernuschi présente, dans le cadre de la manifestation « Japonismes 2018 », une exposition exceptionnelle sur la création Rinpa, école décorative apparue au Japon il y a quatre siècles. Pour l’occasion, plusieurs des grands chefs-d’œuvre du Levant ont fait le voyage à Paris.
Au début du XVIIe siècle, le Japon connaît le début d’une longue période d’isolement – en 1639 une loi interdit aux navires étrangers d’accoster au Japon – et, parallèlement, de paix. C’est à cette période que l’urbanisation des villes se développe. La ville d’Edo, future Tokyo, supplante ainsi Kyoto et Osaka. Edo, qui devient le centre administratif du Japon, connaît un tel essor que la capitale shogunale donnera son nom à la période qui s’étend de 1603 à 1867 : l’époque d’Edo. Cette urbanisation galopante et cette migration des campagnes vers les villes – Edo atteindra probablement 1,5 million d’habitants au XVIIIe siècle – favorise l’essor de la culture, littéraire et artistique, destinée au divertissement de l’élite militaire – les fameux daimyō qui perdent, à cette époque, de leur autorité – et de la bourgeoisie naissante. Romans et nouvelles sont de plus en plus diffusés, tout comme les haikus, ces petits poèmes destinés à dire l’évanescence des choses ; le spectacle vivant, notamment les théâtres nō et kabuki, se développe parallèlement, plébiscité par des citadins avides de nouvelles pièces mettant en scène leur époque. « L’époque d’Edo apparaît d’une richesse et d’une variété incomparables dans les domaines artistiques », écrit Christine Shimizu dans L’Art japonais [Flammarion]. En peinture, les courants se multiplient, prolongeant ou donnant naissance à des écoles, dont Kanō (promouvant les valeurs confucéennes défendues par le shogunat), Tosa et Sumiyoshi. C’est à cette époque que naissent deux mouvements, l’un populaire (l’école ukiyo-e), l’autre décoratif (l’école Rinpa). Cette dernière école est portée par le haut degré de raffinement de la société japonaise qui a alors développé un art de l’encens, du thé ou des fleurs propice à l’édition de beaux et précieux objets.
À la différence d’autres écoles japonaises, les artistes de l’école Rinpa ne sont pas apparentés par des liens de transmission ou de sang, mais rassemblés autour d’affinités esthétiques. Cette école apparaît non pas dans la nouvelle capitale d’Edo, mais dans l’ancienne, qui fut le berceau de la culture traditionnelle : Kyoto. En proposant un style décoratif qui influencera plusieurs générations d’artistes dans tout le Japon, deux artistes et décorateurs sont à l’origine de la naissance de l’école Rinpa : Tawaraya Sōtatsu (actif entre 1600 et 1640) et Hon’ami Kōetsu (1558-1637). École Rinpa qui sera portée à son firmament par les frères Ogata : Kōrin (1658-1716) et Kenzan (1663-1743). Le nom d’école Rinpa, qui sera employé pour la première fois au XIXe siècle, a d’ailleurs été forgé à partir du suffixe du nom de Kōrin : l’école de [Kō]rin. Si les thèmes représentés en peinture sont empruntés à la littérature et au théâtre classiques, la représentation de la nature, fleurs et herbes sauvages, peintes sur des paravents, des éventails, des rouleaux, des boîtes à tabac ou des feuilles de papier pour envelopper l’encens, domine l’art Rinpa.
Né dans une riche famille de marchands de tissus de Kyoto, fournisseurs de textiles pour la famille impériale, Ogata Kōrin a été formé par son père, Ogata Sōken, qui fut lui-même formé par un artiste de l’école Kanō. Après le décès de son père, Kōrin se consacre pleinement à la peinture, mais aussi à la céramique et à la laque, délaissant l’activité familiale. Si Ogata Kōrin fait de courts séjours à Edo, il ne parvient pas à être reconnu dans l’immense cité shogunale et décide donc de travailler à Kyoto où il se fait un nom. Sa peinture témoigne de sa connaissance des textes classiques et, surtout, des peintures de son aîné Sōtatsu, à qui il voue une admiration sans borne. L’influence de Sōtatsu se perçoit notamment dans ses œuvres aux couleurs épaisses et aux fonds à feuilles d’or. Ses compositions stylisées sont audacieuses et dynamiques, à l’instar de la construction de son chef-d’œuvre Prunier blanc et Prunier rouge ou du Poète chinois Bai Juyi, scène provenant de la pièce de théâtre nō Haku Rakuten, exceptionnellement présentée au Musée Cernuschi. Si le nom d’Ogata Kōrin ne dit aujourd’hui plus grand-chose au public occidental, il fut, au XIXe siècle, considéré comme l’un des grands maîtres de l’ère Genroku (1688-1704) par les amateurs de japonisme en Europe.
Comme Kōrin, Tawaraya Sōtatsu, né vers 1560, serait issu d’une famille de marchands de textile pour laquelle il se serait exercé à la peinture sur soie. Sa carrière se situe à cheval entre les époques de Momoyama (1568-1603) et d’Edo. Au début du XVIIe siècle, Sōtatsu rompt avec la tradition en utilisant l’or et l’argent comme des pigments, et non plus pour rehausser un décor, et innove en mettant au point de nouveaux procédés comme le tarashikomi (couleurs foncées appliquées sur des couleurs claires humides). Ces innovations seront à l’origine de la création du style Rinpa. Exposés au Musée Cernuschi, Les Paravents de bugaku comptent parmi ses chefs-d’œuvre. Dans cette paire de paravents, l’artiste évacue tout élément non indispensable pour ne conserver que les groupes de danseurs peints en vue plongeante. La Sente au lierre est un autre des chefs-d’œuvre de la peinture Rinpa attribué à Sōtatsu. Cette peinture est remarquable par l’abstraction formelle du sentier qui serpente de manière interrompue entre les paravents. Sōtatsu signait « Hokkyō Sōtatsu », titre acquis au XVIIe siècle qui témoigne de sa reconnaissance par ses contemporains.
Si elle ne comporte ni signature ni sceau, la paire de paravents représentant Les Dieux du vent et du tonnerre est attribuée à Tawaraya Sōtatsu. Tenant son outre gonflée, le dieu du vent est représenté sur le panneau de droite avec un corps vert, tandis que le dieu du tonnerre, avec son corps blanc, bondit du panneau de gauche au travers d’un tambourin. Expressifs et grimaçants, les deux monstres sont traités avec une pointe d’humour. Reprenant la composition dynamique en angle et le fond doré à l’or fin cher à l’artiste, Les Dieux du vent et du tonnerre sont considérés comme la quintessence de l’œuvre tardive de Sōtatsu – la datation fait toutefois débat. Classés « Trésor national » au Japon, ces paravents sont exceptionnellement sortis du territoire japonais pour être présentés, à Paris, au Musée Cernuschi. Au Japon, les visiteurs du temple Kennin-ji, le plus ancien temple zen de Kyoto pour lequel l’œuvre a été réalisée, n’ont pas accès à l’œuvre originale, mais à une reproduction numérique.
Quelques artistes proches de Kōrin vont parvenir à faire perdurer, tout en le renouvelant, l’art décoratif Rinpa. Ils s’appellent Watanabe Shikō (1683-1755), Fukae Rōshū (1699-1757), et Nakamura Hochū (mort en 1819), et reprennent, notamment, de leurs aînés Sōtatsu et Kōrin les compositions simples et lisibles aux lignes souples. À Edo, le peintre Sakai Hōitsu (1761-1828) sera l’initiateur de l’école dite Rinpa d’Edo et le principal artisan de la postérité de Kōrin – on lui doit notamment, en 1815, un premier catalogue raisonné avec Les cent peintures de Kōrin. Peu d’œuvres nous sont parvenus de certains de ces artistes, à l’instar de Fukae Roshū et de Nakamura Hōchū, peintre natif de Kyoto. De ce dernier, il existe aujourd’hui peu de paravents authentifiés. Exposé à Cernuschi, Oiseau sur un prunier blanc fait partie de ceux-ci. Elle représente un oiseau au bec rouge posé sur une branche de prunier du Japon aux fleurs blanches stylisées, cerné par un contour noir épais. Le tronc de l’arbre reprend la composition traditionnelle dite « à branche coupée » (empruntée à la peinture chinoise). Sa texture est rendue à l’aide d’une encre de Chine foncée, appliquée suivant la technique du tarashikomi emblématique de l’école Rinpa. En bas à gauche, l’inscription finement calligraphiée à l’encre foncée indique « Hōchūkore wo shasu », ce qui signifie « Peint par Hōchū ».
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6 clés pour comprendre la peinture Rinpa
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : 6 clés pour comprendre la peinture rinpa