Puisque, après le décès de Richard Serra, Clara-Clara est revenue dans l’actualité, il est intéressant de comparer le sort de cette sculpture à celui d’une autre œuvre de l’artiste, Tilted Arc.
Elles sont contemporaines (1983 et 1981), toutes deux résultent d’une commande publique, sont dans le même matériau, l’acier Corten, et sont proches par leurs dimensions monumentales (36 m de longueur, 108 tonnes ; 37 m, 73 tonnes). Toutes deux ont été violemment contestées par des riverains. Mais Clara-Clara, après avoir été déplacée trois fois, est aujourd’hui entreposée dans les réserves de la Ville de Paris dans l’attente d’une nouvelle affectation, alors que Tilted Arc a été brutalement démantelée dans la nuit du 15 mars 1989, à New York. Pourquoi ces épilogues opposés ? L’ouvrage de Julie Bawin, Art public et controverses XIXe-XXIe siècle (CNRS Éditions, 2024), première somme sur ce sujet allant de l’iconoclasme révolutionnaire aux polémiques ayant agité la dernière Documenta, rappelle utilement ces deux cas et pointe des différences juridiques essentielles.
Dès sa construction sur la Federal Plaza, au sud de Manhattan, face à un grand immeuble abritant des services administratifs et juridiques du gouvernement américain, Tilted Arc déclenche un important mouvement de contestation. Julie Bawin rappelle que des employés, des juges travaillant dans le bâtiment orchestrent une campagne de lettres et de pétitions. L’œuvre est une « barrière visuelle » coupant la place en deux, sa stabilité est inquiétante, elle attire les graffitis et devient un urinoir, un lieu de débauche, un refuge pour trafiquants. Des arguments que l’on entendra plus tard aussi contre Clara-Clara.
En 1985, un juge décide d’organiser trois jours d’audience publique pour que, notamment, les usagers de la Federal Plaza se prononcent sur le maintien ou la délocalisation de Tilted Arc. Contre toute attente, la majorité des personnes auditionnées se positionne en faveur du maintien de l’œuvre. Julie Bawin relate alors comment ce juge militant réussit à constituer un « comité d’experts » qui se prononce pour le déplacement de l’œuvre, convainquant ainsi la General Services Administration (GSA) de prendre une telle décision. Richard Serra riposte et poursuit la GSA en justice. Mais ses plaintes sont rejetées. La liberté d’expression est garantie par le premier amendement de la Constitution, mais Tilted Arc, n’exprimant aucune opinion politique ou morale, n’entre pas dans ce champ. Contrairement à la législation française, qui protège les artistes à l’égard du respect de leur œuvre, la loi américaine ne leur reconnaît aucun droit moral. Serra cherche à faire valoir son copyright, son droit d’auteur. En vain, Tilted Arc ne montre que « des formes et des symboles familiers ». De plus, lors de la commande, le contrat signé entre l’artiste et la GSA comportait un article stipulant que la sculpture était susceptible de rejoindre éventuellement les collections de la Smithsonian Institution.
Depuis le début, Serra affirme que son œuvre a été créée pour la Federal Plaza et qu’elle doit y rester car elle transforme « cette place inintéressante en espace sculptural ». Le passant doit interagir avec la sculpture et non la contempler comme un objet de décoration. La déplacer, c’est la détruire. Julie Bawin rappelle que même Daniel Buren a critiqué cette intransigeance. Il a déploré « le refus irrévocable » de l’artiste américain « qui n’a pas été jusqu’au bout des exigences que l’œuvre “in situ” requiert […] puisqu’il ne semble pas avoir étudié les us et coutumes du lieu en question ». La pièce « était aussi pure provocation », cinglait le chantre français du in situ. Pour Serra, la défaite a été amère mais l’a rendu plus conciliant. Il n’a lancé aucune procédure judiciaire pour maintenir Clara-Clara sur son site.
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Richard Serra, mieux protégé en France
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : Richard Serra, mieux protégé en France