Dans quelques jours Buren, né en 1938, ouvrira au public les portes de son Monumenta au Grand Palais. Retour sur la carrière d’un artiste habitué, du CAPC au Guggenheim, aux espaces hors normes.
A considérer la démarche de l’artiste, il convient de rappeler que Daniel Buren parle de la forme qu’il a retenue – un motif de bandes alternées blanches et colorées d’une largeur toujours égale à 8,7 cm – en termes d’« outil visuel ». Si celui-ci lui a été donné suite à l’achat qu’il fit en 1965 d’un morceau de tissu rayé au marché Saint-Pierre, l’expression n’en est pas moins forte. Elle dit bien ce qu’il en est pour lui de la nature et de la fonction de l’œuvre : un moyen pour voir. Qui plus est, du fait de la confrontation entre le contexte et l’outil dans lequel celui-ci est placé, un moyen pour entraîner le regard à la découverte de celui-là.
Si la ville et la rue ont été les premiers terrains d’action de Buren, c’est que sa démarche trouve sa raison d’être dans une relation primordiale entre architecture et société, inaugurant les termes d’un langage plastique inédit dans un rapport direct au réel contre toute forme d’illusionnisme.
Concrètement, il s’agit pour Buren de faire voir que le réel englobe – comme il dit – « des milliers de problèmes », notamment les conditions et les contraintes du fait même de création. Et l’artiste d’en ébaucher l’inventaire : « Les relations spatiales et colorées, l’institution, le marché, la forme, la non-forme, les revues d’art, la critique, les historiens d’art, les collectionneurs, les expositions de groupe, les expositions personnelles, les travaux hors institutions, les circuits parallèles, les avant-gardes, les sans-gardes, les sans-grade, les dégradés, le figuratif, les leaders, la peinture, la sculpture, les écoles, la politique, la nature, l’abstrait, les objets, les musées, les galeries, les conférences… » La formule peut paraître excessive. Elle date de 1984, publiée dans le catalogue d’une exposition de l’artiste à Stockholm. À cette date, Daniel Buren a déjà presque vingt ans de travail derrière lui ; s’il n’a pas encore tout éprouvé de ce qu’il liste, il s’est confronté à un nombre extrêmement varié de situations.
De la case prison à celle des expositions
Ainsi, dès 1967, au Salon de la jeune peinture puis au Musée des arts décoratifs, se donne-t-il en spectacle au travail avec ses complices de BMPT (Buren-Mosset-Parmentier-Toroni), de sorte à faire voir le processus de la peinture. Une façon de démystifier l’acte de création. Par la suite, Buren multiplie individuellement les actions d’affichage sauvage sur les panneaux publicitaires, dans la rue comme dans le métro, à Paris comme à l’étranger, ce qui lui vaut à Bern, en 1969, la veille de l’ouverture de l’exposition « Quand les attitudes deviennent forme », de faire un passage éclair en prison.
Si la ville constitue son territoire de prédilection, l’artiste ne cessera d’inventer au cours des années 1970 toutes sortes de formes nouvelles en relation avec les sites où il est amené à intervenir. À Rome, en 1972, lors des Rencontres internationales d’art, il joue tant du dedans que du dehors de la galerie où il est invité en présentant deux travaux de taille et de couleur rigoureusement identiques, l’un à l’intérieur, l’autre dans la rue, mais visibles simultanément depuis l’unique fenêtre de la galerie, mettant ainsi en question la façon dont on les perçoit. Quatre ans plus tard, au Kunstmuseum de Lucerne, Buren conçoit un travail qu’il intitule Éparpillé-Rassemblé : trois séries distinctes comprenant neuf pièces chacune, de différentes couleurs, utilisant le papier blanc et le plastique transparent, sont disposées en trois endroits distincts : la première est éparpillée dans la ville sur des panneaux d’affichage urbain, la deuxième dans le hall du musée et la troisième dans l’une des salles de ce dernier.
Cette façon de jouer de relation entre des espaces éclatés, Buren l’a pratiquée à plus grande échelle encore quand, par exemple, il est intervenu simultanément, en Hollande, au Stedelijk d’Amsterdam, au Kröller Müller d’Otterlo et au Van Abbemuseum d’Eindhoven, jouant des formes géométriques reliant géographiquement ces trois villes pour concrétiser des objets visuels. D’aucuns se souviennent comment, en 1983, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, il s’était emparé de tout l’espace courbe de l’Arc en réalisant un « Corridorscope ». Celui-ci s’étendait de l’entrée à la sortie, masquant l’architecture environnante, mais percé ici et là de trous, il laissait parfois apparaître des fragments du couloir flottant dans l’espace, sinon dévoilait des tableaux sortis des réserves ou offrait des points fuite qui projetaient le regard sur l’extérieur même du bâtiment, etc.
Au Grand Palais, tous les ingrédients d’une grande œuvre
Ce rapport à l’architecture constitue comme un fil rouge dans l’œuvre de Buren. Rien ne lui convient mieux que de s’en prendre au bâti, qu’il le décortique, le coupe, le découpe, le taille, le grave, comme il l’a fait au Pavillon français, à la Biennale de Venise en 1986, ou qu’il le retourne en le précipitant dans l’abîme d’un monumental miroir tel le jeu de voûtes de la grande nef du CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux, au début des années 1990. Cette façon qu’il a de subvertir l’espace, de l’accaparer – alors qu’ordinairement c’est lui qui nous déborde – relève d’une appréhension toujours détournée de l’environnement ou de l’édifice avec lequel il est amené à composer.
Il joue tantôt de la structure, tantôt de la lumière, tantôt du vide qui les déterminent de sorte à mettre en question nos habitudes perceptives et à les révéler à la surprise de notre regard. En même temps qu’elle faisait l’éloge de la couleur, son exposition au Centre Pompidou en 2002 en était une magistrale démonstration. Privilégiant une conception rétrospective de l’exposition, Buren était intervenu en trois temps distincts : dans les salles qui lui étaient dévolues en y créant comme une forme de labyrinthe, dans l’ensemble du bâtiment même, dans la ville alentour enfin.
Quelque chose est à l’œuvre chez Daniel Buren qui relève d’une irrésistible propension à l’extension et le conduit à concevoir des dispositifs dont la lecture sous-tend une virtuelle infinitude et qu’excède le mode de la sérialité, l’usage de ses bandes rayées instruisant le potentiel d’une combinatoire sans fin. Fameuses entre toutes, ses « colonnes » au Palais-Royal constituent l’un des temps forts du développement de son travail ; leur véritable titre – « Les deux plateaux, une installation in situ » – en dit long des principes tant d’intervention que de métamorphose qui le gouvernent.
Après Kiefer, Serra, Boltanski et Kapoor, Daniel Buren est à son tour invité à s’emparer de l’espace du Grand Palais. La bâtisse est à la mesure des enjeux qui intéressent l’artiste. Symbole d’une modernité qui sanctionne le passage d’un siècle à l’autre, situé en plein cœur de la capitale, le Grand Palais est l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture métallique et son immense verrière en fait une monumentale boîte à lumière. Tout y est rassemblé pour que l’artiste trouve là les éléments d’une nouvelle prestation dont on peut penser qu’elle jouera notamment de la coupole, comme il a pu le faire de façon magistrale au Solomon R. Guggenheim Museum de New York il y a quelques années.
En septembre dernier, Daniel Buren accordait un grand entretien à L’œil. Interrogé sur les éditions précédentes de Monumenta qui l’avaient le plus séduit, il répondait :
« Richard Serra a compris cette structure et en a joué à sa manière, extrêmement intelligente et fine, en touchant à peine au lieu. Il en a extrait la substantifique moelle. L’autre réussite, à l’inverse, est celle d’Anish Kapoor qui a, quant à lui, quasiment éliminé le Grand Palais pour le révéler différemment. Il a pris un gros risque en introduisant son monstre à l’intérieur même de cet autre monstre de verre et d’acier. »
L’entretien est à relire dans son intégralité sur LeJournaldesArts.fr
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Daniel Buren - L'homme du Monumenta
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Abonnez-vous dès 1 €Plans, dessins et collages : les esquisses que Daniel Buren a réalisé pour préparer son Monumenta sont réunies ce mois-ci dans un livre à paraître aux Éditions Dilecta. Excentrique(s), Esquisses graphiques, le titre de l’ouvrage, plonge le lecteur dans la génèse du projet, des premières pistes abandonnées par Buren à la réalisation finale de l’installation que le public pourra bientôt découvrir sous la coupole du Grand Palais. Ces esquisses permettent de mieux comprendre comment cette fois encore l’artiste a relevé le défi de la monumentalité, en jouant de la lumière et des couleurs. Le projet reproduit ci-contre contient-il déjà les éléments de l’installation définitive ? Réponse le 10 mai avec l’ouverture au public du Monumenta 2012.
Daniel Buren, Excentrique(s), Esquisses graphiques, Éditions Dilecta, 112 p., 28 euros.
Consulter la fiche expo : Monumenta 2012 - Daniel Buren : Excentrique(s)
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : Daniel Buren - L'homme du monumenta