Nous venons de consacrer encore plus de temps à nos écrans. Mais dans quelles conditions allons-nous pouvoir regarder une œuvre d’art en réel en espérant qu’elle éveille une émotion ? Quel genre d’expositions allons-nous visiter ?
Ces questions se posaient déjà mais la crise sanitaire les rend plus complexes, les aiguisent tout en exigeant des réponses à brève échéance. Réponses qui pourraient faire date.
Après quelques pays européens, la France devrait rouvrir graduellement ses musées. Cette réouverture à assurer dans de bonnes conditions sanitaires est pour eux un défi, comme elle l’est actuellement pour les galeries. Comment réguler le flux pour limiter le nombre des visiteurs en présence dans les salles ? Imposer une attente à l’extérieur, pouvoir mettre en place un système de réservation à distance stipulant une plage horaire et un temps de visite limité ? Le port du masque devra sans doute être exigé, le personnel formé à faire respecter la distanciation physique, cette fois non seulement avec les œuvres mais entre les personnes. Les réponses à apporter sont d’autant plus ardues que l’afflux des visiteurs reste une inconnue, même en se fondant sur les statistiques de fréquentation antérieure. Nous aurons envie de retrouver les œuvres, mais accepterons-nous deux fois, plusieurs fois, ces contraintes nouvelles ? Voir un musée en nombre limité est un plaisir, le faire en devant se méfier des autres visiteurs l’est moins. Des enquêtes d’opinion ont montré qu’en France les sorties culturelles étaient davantage appréhendées comme un risque de contamination que comme une priorité.
Il est plus probable en revanche qu’un nouveau chapitre s’ouvre pour les expositions. Les avions sont cloués au sol, les chefs-d’œuvre ne peuvent plus voyager. Adieu donc aux rétrospectives qui multipliaient les prêts internationaux, les fameux blockbusters séduisant une foule, qui, de surcroît, ne pourra probablement plus être au rendez-vous. Déjà, elles se voyaient critiquées pour leur impact sur le réchauffement climatique avec leur recours au transport aérien, à des scénographies temporaires non remployées. Le Covid-19 va hâter l’éclipse de ces superproductions.
Allons-nous définitivement brûler ce que nous avons adoré ? En Europe, comme en Amérique, des directeurs de musées plaident pour un recentrage sur les collections, leur étude et leur présentation à l’aune des préoccupations d’aujourd’hui. Les expositions-dossiers, en vogue autrefois, ont donc un nouvel avenir. Ce sera moins flamboyant, mais permettra aux musées d’exercer leur mission éducative et ouvrira de nouveaux champs d’étude aux historiens de l’art ou aux chercheurs en sciences sociales. Cela demandera aux tutelles de ces institutions d’avoir le regard moins obtus sur les chiffres de fréquentation et leurs ressources en billetterie. Pour les centres d’art, certains responsables ont rejoint cet appel au recentrage, en affichant leur volonté d’adopter désormais des « circuits courts », écologiques comme pour l’alimentaire, d’exposer avant tout des artistes régionaux ou locaux. Voilà l’écueil : le repli sur soi, l’autarcie. Ce ne serait rendre service ni à la création artistique, qui s’enrichit d’un circuit étendu, ni au public.
L’Internet offre encore plus dans cette période transitoire l’ouverture sur le monde. Autrefois les gravures puis la photographie favorisaient la diffusion et la connaissance des créations des artistes pour le plus grand nombre ; aujourd’hui les réseaux sociaux – un seul avant tout, Instagram – les ont remplacées. Artistes, musées, centres d’art, galeries, foires s’y sont engouffrés à foison, à saturation, pour le meilleur comme pour le pire. Là aussi, la pandémie agit comme un catalyseur du changement. Gardons-nous de prophétiser un bouleversement des choix de « consommation », mais indéniablement de nouvelles habitudes se sont créées.
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Renouer avec le réel, mais comment ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°546 du 22 mai 2020, avec le titre suivant : Renouer avec le réel, mais comment ?