Et si l’exposition « Venise révélée », proposée par la Réunion des musées nationaux avec des « projections géantes et immersives, des dispositifs interactifs ludiques et innovants », qui vient de fermer ses portes au Grand Palais immersif, avait préfiguré ce qui attend les générations futures ?
Une cité des Doges ne survivant que par de chatoyantes images et peut-être par la construction d’une réplique, ailleurs sur une terre ferme. Car, nous le savons depuis longtemps, la Sérénissime est gravement menacée par deux flots, celui de la mer et celui des touristes. Mort à Venir ?
Le flot de la mer, c’est l’acqua alta (hautes eaux) qui peut survenir entre l’automne et le printemps à cause d’une conjugaison de marées hautes, de forts vents du sirocco et de précipitations. Les images de la place Saint-Marc inondée sont devenues malheureusement familières. Trente acque alte ont été dénombrées au XIXe siècle, cent soixante-quatre au siècle suivant. Le 4 novembre 1966, l’eau a grimpé jusqu’à 1,94 mètre ; le 12 novembre 2019, de 1,87 mètre. La multiplication du phénomène et son aggravation donnent effectivement de quoi s’alarmer.
Aux causes naturelles, s’ajoute l’activité humaine. L’extension du port Marghera à l’entrée de la lagune et sa transformation en zone industrielle dans les années 1960 sont notamment pointées du doigt, comme la circulation intensive de monstrueux navires de croisière. Mais le 3 octobre 2020, l’eau n’a monté que de 70 centimètres, alors qu’une nouvelle acqua alta de 1,35 mètre était annoncée. Pour la première fois, le MOSE (Module expérimental électromécanique) était entré en action. Soixante-dix-huit digues mobiles permettant de fermer les trois passes séparant la lagune de la mer Adriatique. Son idée avait émergé cinquante-quatre ans plus tôt, sa réalisation tardive dépasse les 7 milliards d’euros en engloutissant un gigantesque scandale de corruption. Jour historique ce 3 octobre. Mais les pessimistes arguent qu’il n’est pas bon pour la biodiversité de fermer régulièrement la lagune, de la transformer en lac. Et de souligner aussi, que la ville historique construite sur des pieux en bois, s’est déjà affaissée de 23 centimètres en un siècle et que la montée des eaux liée au réchauffement climatique va aggraver ce deuxième phénomène. La cité thermale antique de Baïes, dans le golfe de Naples, n’a-t-elle pas été en partie submergée avant de devenir un parc archéologique sous-marin ? Aux optimistes de faire valoir qu’effectivement Venise est une construction artificielle, qu’elle a toujours été dans un équilibre instable mais qu’elle a su toujours surmonter cette fragilité et que le MOSE a surpris par son efficacité.
Le deuxième flot, celui des touristes, semble tout aussi épineux à endiguer pour des raisons techniques, mais aussi par manque de volonté politique. Dans les années 1950, la cité des Doges accueillait un demi-million de visiteurs, aujourd’hui 30 millions, dont les deux tiers pour une journée. Comment les limiter, comment réguler aussi ceux qui reviennent régulièrement en masse pour les ouvertures des festivals, biennales d’arts visuels, d’architecture, Mostra du cinéma ? Là aussi, comme pour le MOSE, la question est évoquée depuis des années. Une tentative de réservation obligatoire et payante pour le centre historique avec installations d’inefficaces portiques a été testée, puis abandonnée. Une solution est pourtant impérative. Le renchérissement du logement, les difficultés pratiques de la vie quotidienne ont parallèlement fait fuir les Vénitiens du centre historique : ils n’y sont plus que 50 000, contre 175 000 dans les années 1950. Ainsi, le maire actuel de la commune de Venise habite sur la terre ferme, mais fait des affaires avec le tourisme. Il n’habite pas à Venise mais vit de Venise, comme nombre de ses concitoyens. Une ambivalence qui expliquerait aussi la lenteur des solutions ?
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Mort à Venir ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Mort à Venir ?