VENISE / ITALIE
Les dégâts provoqués par l’eau salée sur la structure de l’édifice menacent sa survie. Les récentes inondations records ont encore plus fragilisé les sols en mosaïques et les colonnes de la crypte.
« Nous avons frôlé l’apocalypse et nous sommes incapables de nous défendre », Pier Paolo Campostrini, un des procurateurs de la basilique Saint-Marc constate avec amertume son impuissance et le manque de soutien suite à la énième crue. Après celle du 28 octobre qui avait atteint le niveau de record de 156 centimètres, celle de la nuit du 12 au 13 novembre avec ses 187 centimètres a frôlé le niveau historique de 1966. Le ministère de la Culture a immédiatement dépêché sur place une équipe d’une quinzaine d’experts pour dresser un état des lieux. Avec 80 % de la ville submergée, l’inondation de la moitié des églises, du théâtre La Fenice et de plusieurs musées, l’inquiétude sur le patrimoine artistique est grande.
Un début d’incendie suite à un court-circuit électrique s’est même déclenché au palais Ca’Pesaro (le Musée d’art moderne), avant d’être maîtrisé par les pompiers. Les collections des institutions culturelles n’ont pas subi de dommages, car l’exposition des œuvres est prévue pour faire face à une brusque montée des eaux. Les préoccupations portent sur leurs conditions de conservation suite aux défaillances du réseau électrique qui empêchent le bon fonctionnement des appareils de climatisation et de déshumidification. Pour le Palazzo Ducale, le Musée Ca’Rezzonico et la maison de Goldoni, même si leurs collections sont en sécurité, la structure des édifices, elle, a été fragilisée. La Biennale annonce également qu’aucune œuvre n’est en danger à l’Arsenal et aux Giardini, bien que l’eau ait envahi certains pavillons. La fondation Querini Stampaglia, qui n’a pas encore achevé l’état des lieux, annonce déjà la perte d’archives du XIXe siècle, tandis que l’emblématique librairie Acqua Alta dresse le même constat pour des milliers d’ouvrages.
« La situation est critique surtout pour la basilique Saint Marc en raison du nombre d’heures pendant lesquelles les biens artistiques, des sols en marbre aux boiseries, sont restés sous l’eau », déclare Salvo Nastasi, secrétaire général du Mibact. Le ministère pour les Biens et les Activités culturels évoque l’hypothèse d’envoyer dans la cité des Doges le corps des « Casques bleus de la culture », instauré en 2016 par l’Italie, en partenariat avec l’Unesco pour protéger et restaurer le patrimoine en danger dans les zones de guerre ou frappées par des catastrophes naturelles. C’est la basilique Saint-Marc qui devra faire l’objet de toutes leurs attentions. Le narthex (vestibule d’entrée), où se trouvent certaines des mosaïques les plus précieuses, a cette fois été submergé, tout comme la crypte avec les tombes des patriarches de Venise qui ont été abîmés. Les 3 millions d’euros promis pour faire face à la réparation de ceux causés par l’inondation d’octobre 2018 seront finalement débloqués. Mais ils se révèlent insuffisants. Le constat est toujours identique avec une structure du bâtiment en brique : l’eau salée est un ennemi insidieux qui imprègne les parois, accélère l’usure des sols, ronge le marbre et représente un danger mortel pour la bonne tenue des mosaïques.
« Le désastre a déjà commencé même s’il ne se voit pas, prévient Mario Piana, proto (conservateur en chef) de la basilique Saint-Marc. « L’édifice sembre intègre, mais cette inondation n’est pas comme celle de Florence en 1966 qui a tout balayé et détruit sur son passage. Saint-Marc est comme un patient resté exposé aux radiations. Le premier jour, c’est comme si rien ne s’était passé, puis les dents et les cheveux commencent à tomber. Les radiations dans ce cas, c’est l’eau salée. Il n’y a pas eu de risque d’effondrement de la crypte, mais les dommages infligés aux colonnes sont irréversibles. »
Dans ce contexte, les promesses d’aides réitérées par le gouvernement à chaque crue exceptionnelle, de plus en plus fréquentes, représentent une goutte d’eau comparée à la vague de problèmes qui menacent d’engloutir son monument iconique. « Nous pouvons effectuer la manutention ordinaire, mais nous avons besoin d’aide pour celle extraordinaire et les travaux structurels, a déclaré le patriarche de Venise Francesco Moraglia. Nous sommes très contents de voir les ministres venir inaugurer des expositions ou la Biennale mais, Venise, ce n’est pas que cela. Nous voudrions les voir assis autour d’une table pour parler concrètement de ce qu’il faut faire pour nous mettre en sécurité, car il en va désormais de la sécurité de la ville. » De sa survie plutôt. Elle s’est déjà enfoncée de 30 centimètres lors du siècle dernier et devrait s’affaisser d’un mètre d’ici 2100.
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La Basilique Saint-Marc est en danger de mort
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : La Basilique Saint-Marc est en danger de mort