Art moderne - Histoire de l'art

La légende des impressionnistes

Par La rédaction de L'Œil · L'ŒIL

Le 12 avril 2024 - 521 mots

Malgré le travail des historiens, les clichés sur les impressionnistes ont la vie dure. 

Auguste Renoir (1841-1919), Le déjeuner des canotiers, 1880-1881, huile sur toile, 130 x 173 cm. - Phillips Collection, domaine public
Auguste Renoir (1841-1919), Le déjeuner des canotiers, 1880-1881, huile sur toile, 130 x 173 cm, Phillips Collection.

Dans l’imaginaire populaire, ce sont des artistes miséreux qui pendant longtemps ont été rejetés par le public, l’État, la presse et le marché, vivant d’expédients et ne trouvant la reconnaissance que bien plus tard. Comme toujours dans les légendes, il y a du vrai : la première exposition de 1874 a été un échec commercial et de fréquentation, de même que la vente à Drouot, l’année suivante. Mais dès l’exposition de 1876, toute la presse artistique assiste à l’inauguration et publie des dizaines d’articles qui ne sont pas tous désapprobateurs. La presse conservatrice les appelle les « intransigeants » tandis que d’autres, emmenés par Zola, préfèrent les appeler les « naturalistes ». Certains hésitent encore sur le néologisme, préférant celui « d’impressionalisme ». Quel que soit le nom qu’on leur donne, ils n’étaient pas des inconnus, encore moins des va-nu-pieds.

Certes, Ils N’étaient Pas Tous Fortunés  - comme Degas ou Caillebote, mais sociologiquement, ils étaient plus proches des bourgeois que des ouvriers. L’historien américain de l’art Albert Boime (les Anglo-Saxons, à la suite de John Rewald en 1946 et sa célèbre Histoire de l’impressionnisme, ont supplanté les Français dans l’étude du mouvement) soutient que les peintres impressionnistes se sont inscrits dans la volonté des classes privilégiées d’occulter et de refouler la guerre franco-prussienne et les événements dramatiques de la Commune encore tout proches. Il s’appuie pour cela sur les nombreuses scènes « bourgeoises » de la vie moderne de Renoir, Degas ou Monet. Certains historiens ont faussement interprété les péripéties du legs Caillebote pour accréditer l’idée selon laquelle l’État n’avait pas de considération pour les impressionnistes. Gustave Caillebote avait soutenu ses amis peintres en leur achetant une soixantaine de tableaux qu’il entendait donner à l’État après sa mort, laquelle survint en 1894. Grâce à Pierre Vaisse, on sait maintenant que l’administration était ravie de cette donation, qui permettait de faire enfin entrer ces peintres dans les collections publiques et de les exposer au Musée du Luxembourg, à Paris. C’est parce que les clauses de Caillebote étaient difficiles à respecter que le legs n’a pas été consenti tout de suite. Mais en définitive, quarante et une toiles de Cézanne, Monet, Pissaro… sont acceptées et exposées en 1896.

Mais Alors, D’où Vient Cette Légende  - de peintres parias sur le modèle d’un Van Gogh qui pourtant leur est postérieur ? Il se pourrait que les premiers responsables soient deux personnages illustres : Zola et Puccini. Zola, leur ami, qui en 1886 publie son roman L’Œuvre, dans lequel le peintre Claude Lantier, incompris du public, finit par se pendre devant une toile inachevée. Dix ans plus tard, c’est l’Italien Puccini qui compose le célèbre opéra La Bohème, dans lequel quatre amis – un artiste, un poète, un musicien et un philosophe – partagent une mansarde et vivent une vie désordonnée et désargentée. Puis au XXe siècle, les avant-gardes sont devenues les héritières des impressionnistes dans leur combat contre l’art dominant. Mais des héritières plus engagées socialement, du côté de « l’aventure » contre l’ordre établi (Pierre Daix), attribuant par amalgame et rétrospectivement aux impressionnistes un statut de marginaux qu’ils n’étaient pourtant pas.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°773 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : La légende des impressionnistes

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