Rien n’est plus apparemment contradictoire que la culture et l’entreprise. La première est supposée gratuite, désintéressée, transgressive. La seconde doit être rentable, intéressée, hiérarchique.
Leurs rares points de rencontre semblent se limiter aux œuvres d’art dont certaines entreprises meublent parfois leurs usines ou leurs bureaux, et au mécénat que certains dirigeants peuvent faire, soit directement, soit dans le cadre d’une fondation d’entreprise choisissant l’art comme domaine d’action.
Sans doute faut-il ajouter que, de plus en plus, la culture obéit elle-même aux lois de l’entreprise : on y parle de marché, de concurrence, de profit, de consommateurs, de producteurs, de financement, de spéculation, de mode. Et un artiste doit, de plus en plus, trouver des soutiens bancaires, maîtriser ses coûts de production, faire du marketing, savoir se vendre.
Pour autant, rien ne reste plus éloigné, pour l’essentiel, de la culture que l’entreprise. Ceux qui y travaillent doivent, croit-on trop souvent, abandonner toute référence culturelle en arrivant au travail, pour n’être plus concernés que par les exigences de la production et de la vente des produits ou services de l’entreprise qui les emploient.
En réalité, aucune entreprise ne peut survivre sans référence culturelle. Elle a en effet besoin, de plus en plus, que ses collaborateurs, animés d’un esprit critique partagent les mêmes valeurs ou au moins soit fiers de leur entreprise ; que leur travail ne soit pas motivé uniquement par le salaire qu’ils en retirent, mais surtout par le projet qu’ils peuvent partager, par le sentiment positif qu’ils peuvent avoir d’appartenir à un même groupe. Et il n’y a pas d’appartenance sans culture. Pas de collaboration sans langue commune. Pas de projet sans vision partagée.
Dans un monde où on ne peut plus séparer la vie au travail du reste de la vie, où chacun veut trouver du sens à tout acte de sa vie, la culture, c’est-à-dire le sens, devient clé. Aucune entreprise ne peut survivre si elle ne crée pas les conditions de la loyauté de ses collaborateurs ; si le métier de chacun n’est pas un sujet de conversation dont il peut être fier.
Très prosaïquement, il y a un lien entre la capacité d’une entreprise à vivre une culture commune et sa compétitivité. Et les entreprises les plus modernes, les plus avancées, partout dans le monde, le font sans même le dire. Elles énoncent des valeurs et les font vivre dans leur façon de recruter, de former leurs collaborateurs, de les faire travailler, de développer un discours mettant en cohérence leurs productions, leurs relations professionnelles, leurs actions de mécénat ou de développement durable, dans un discours s’inscrivant dans une vision à moyen terme de sa raison d’être.
Aussi, il devient clé d’assumer ouvertement cette fonction culturelle dans l’entreprise. Et comme il y a dans la plupart des compagnies des directeurs financiers, des directeurs commerciaux, des directeurs informatiques, des directeurs des relations humaines, des directeurs du développement durable, des directeurs du mécénat (qu’on nomme souvent par les acronymes anglais CFO, CMO, CTO, HRM, CSD), il faudrait y ajouter maintenant un directeur culturel (qu’on pourrait nommer en anglais « Chief Cultural Officer », CCO) fonction qui engloberait celles du directeur des relations humaines et celles du directeur du développement durable, et qui irait beaucoup plus loin.
L’entreprise de demain ne survivra qu’à cette condition.
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La culture, au cœur de l’entreprise
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Abonnez-vous dès 1 €Jacques Attali,© Photo Mksmez - 18 octobre 2016. Photo sous Licence Domaine public CC BY SA 4.0.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°482 du 23 juin 2017, avec le titre suivant : La culture, au cœur de l’entreprise