ENGAGEMENT. L’action et la méthode de Daniel Barenboim devraient faire méditer artistes, biennales et autres manifestations, comme la dernière Documenta [Documenta 14, à Cassel et Athènes], qui s’attachent à porter en étendard un engagement politique ou social de l’artiste.
Cet engagement sert alors souvent d’alibi vertueux pour masquer des postures infantilisantes qui débouchent sur des réalisations médiocres. L’engagement du musicien est gigantesque, mais, lucide, celui-ci en mesure les limites et se garde bien de s’ériger en « démiurge » capable de changer le monde ; s’il invoque une responsabilité, c’est celle de l’être humain, il laisse à l’artiste celle de l’exigence de l’œuvre offerte au public ; s’il réagit à l’actualité, jamais il ne l’utilise ou ne l’instrumentalise pour se mettre en scène.
À bientôt 75 ans, le pianiste et chef d’orchestre est à l’apogée de sa carrière. À la Philharmonie de Paris, avec la Staatskapelle de Berlin, il vient de clore triomphalement un cycle de concerts Mozart/Bruckner qui a duré un an et fera date dans l’histoire de la jeune institution. Le 27 octobre, il y revient, mais avec une autre formation, le West-Eastern Divan, qu’il a fondée en 1999 avec l’intellectuel d’origine palestinienne Edward Saïd. Un orchestre unique au monde puisqu’il réunit de jeunes musiciens d’Israël et des pays arabes (Égypte, Iran, Jordanie, Liban, Syrie et Palestine). Pour Daniel Barenboim, c’est une évidence : les destinées des peuples israéliens et palestiniens sont inextricablement liées et il n’y a pas de solution militaire au conflit. Appelés à jouer ensemble, Arabes et Israéliens, qui se rencontrent pour la première fois, vont apprendre à se connaître et à se comprendre, car la partition d’orchestre oblige déjà à une écoute mutuelle. Voilà sa conviction. De là, forger la qualité d’une jeune formation musicale est une autre ambition. À force de répétitions, d’abord en résidence à Séville, la notoriété se bâtit en Europe et dans le monde. En 2005, succès chèrement conquis, le West-Eastern Divan réussit à jouer à Ramallah, en Cisjordanie occupée. Cependant, les auditeurs doivent oublier que les musiciens sont israéliens ou arabes, seule compte la qualité sonore. Le maestro l’exige, comme il réfute la qualification d’« orchestre pour la paix », trop souvent avancée. Il ne nous berce pas d’illusions. Le West-Eastern Divan ne créera pas la paix au Proche-Orient – aux responsables politiques, aux instances internationales de le faire. Et d’admettre, son existence le prouve, que des citoyens dits bellicistes peuvent travailler ensemble, si les moyens leur en sont donnés.
Installé à Berlin, où il dirige la Staatskapelle, Daniel Barenboim a réussi à convaincre l’Allemagne de lui accorder des moyens pour développer son engagement : l’Académie Barenboim-Saïd y accueille 90 étudiants pour un cursus de quatre ans dans une Haute École de musique, bien sûr, mais de sciences humaines également. Toute cette activité n’empêche pas le maestro d’alimenter sa chaîne Youtube où il commente des sujets traitant de l’humain et, assis au piano, des œuvres musicales.
En France, Daniel Barenboim a été pendant quatorze ans un remarquable directeur musical de l’Orchestre de Paris, avant de devenir, en 1989, un éphémère directeur artistique de l’Opéra, congédié par son président, Pierre Bergé, aujourd’hui décédé. Les autorités françaises n’ont pas su pressentir les qualités artistiques, et surtout celles, au-delà de la musique, de ce bâtisseur visionnaire. Il est temps de tourner la page. Président Macron, l’action de Daniel Barenboim mérite le soutien de la France.
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La France doit soutenir Daniel Barenboim
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Abonnez-vous dès 1 €Daniel Barenboim au théâtre de Colon © Photo GCBA - 24 juillet 2015 - Licence CC BY-SA 2.5 AR
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : La France doit soutenir Daniel Barenboim