Immersion - Le 16 janvier, à Nantes, Jean-Luc Mélenchon ouvrait son meeting de campagne par ces mots : « Dans la patrie de Jules Verne, après le meeting en réalité augmentée, voici le meeting immersif et olfactif. » Lors de la campagne de 2017, le leader de La France insoumise avait en effet déjà innové en utilisant la technique dite du fantôme de Pepper afin d’être filmé à Dijon et de voir son « hologramme » projeté simultanément dans différents rassemblements à Grenoble, à Clermont-Ferrand, à Montpellier, à Nancy, à Nantes et sur l’île de La Réunion. Cette fois, le candidat allait plus loin en proposant un meeting « immersif et olfactif », où des odeurs accompagnaient la diffusion d’images sur des écrans géants à 360° (une odeur d’iode pendant une vidéo sur l’énergie potentielle de la mer Méditerranée, par exemple). « Une première mondiale », assurait l’équipe du candidat, et l’occasion de « mettre la technique au service d’un contenu », selon le député LFI Éric Coquerel. Nouvelle dans le champ politique, l’immersion fait également son entrée dans les musées. Le Muséum d’histoire naturelle programme ainsi, jusqu’au 4 juillet 2022, une « Odyssée sensorielle », une exposition où les images en haute définition, le son spatialisé et les senteurs offrent un voyage immersif dans la biodiversité. Dans le champ de l’art, cette approche se développe en France depuis le début des années 2010 sous l’impulsion de Culturespaces. Surfant sur le succès des Carrières des lumières ouvertes aux Baux-de-Provence en 2012, l’opérateur culturel privé a créé son premier « centre d’art numérique » en 2018 à Paris : l’Atelier des lumières, où des reproductions d’œuvres d’art (actuellement de Cézanne et de Kandinsky) sont projetées en HD du sol au plafond sur une bande-son qui va de Vivaldi à Bowie. Depuis 2018, ce modèle a été décliné à Jeju (une île de l’océan Pacifique), à Bordeaux, à Amsterdam (depuis le 22 avril) avant d’être exporté dans les jours prochains à Séoul et à New York. Mais, « ce n’est pas de l’art ! », hurlent les amateurs. Ils ont raison, c’est un spectacle numérique, un show de son et lumière capable de drainer chaque année plusieurs centaines de milliers de visiteurs (1,4 million à Paris), une fréquentation dont se satisferaient bien les musées.
Émotion - La RMN – Grand Palais s’est elle aussi invitée sur ce marché émergent des expositions numériques en lançant, au début de 2021, le Grand Palais Immersif. Sa filiale, qui vient d’annoncer l’ouverture en septembre d’un espace d’expositions numériques à l’Opéra-Bastille, entend toutefois mettre l’accent sur la narration et la pédagogie. « La Joconde, exposition immersive », jusqu’au 21 août au palais de la Bourse à Marseille, se veut un modèle du genre. La mise en scène multiplie les écrans géants, les écrans tactiles et les cartels pour mettre en « mouvement » le chef-d’œuvre dans une « enquête » qui décortique le mythe, de son origine à nos jours. Coproduite avec le Louvre, l’exposition est scientifiquement irréprochable. Pourtant, là encore, il ne s’agit pas d’une exposition d’art, la vraie Joconde étant restée à Paris, mais d’une « manière de raconter l’art et son histoire ». Une manière qui pourrait bien annoncer « une nouvelle ère au sein de l’écosystème muséal », dit-on à la RMN. « Sans compromis sur l’exigence intellectuelle, [cette expérience] multiplie l’émotion, à l’image du décor de l’exposition, qui se meut comme une peau », écrivent les directeurs de la RMN et du Louvre dans la préface du catalogue, de surcroît assez bien fait. L’émotion, c’est bien le maître-mot d’une installation immersive actuellement présentée à la Bourse de commerce – Pinault Collection : OPERA (QM.15), de Dominique Gonzalez-Foerster. Dans une pièce plongée dans le noir, le spectateur voit apparaître l’hologramme de l’artiste jouant le rôle de Maria Callas dans sa mythique robe rouge, tandis que la voix de la diva entonne les airs de Medea, de La Traviata et de La Gioconda. Troublante, l’installation appartient à la série des apparitions, œuvres performatives ou holographiques initiées en 2012 dans lesquelles l’artiste incarne Bob Dylan, Emily Brontë, Sarah Bernhardt ou Maria Callas. OPERA (QM.15) convoque cet instant magique qui naît du brouillage entre réalité et fiction, entre passé et présent. Dominique Gonzalez-Foerster veut provoquer ici l’émerveillement par la voie d’une expérience extraordinaire, tout en faisant évoluer l’installation vers un dispositif multisensoriel. Or, c’est peut-être ce qu’il manque encore aux expositions numériques : l’émotion. Si la technologie et la pédagogie sont aujourd’hui maîtrisées, l’émotion qui naît de la rencontre avec l’art demeure cependant absente des expositions immersives. À elles, désormais, de savoir la générer pour ouvrir cette « nouvelle ère » attendue dans l’histoire des musées.
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Immersion Émotion
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : Immersion Émotion