La priorité est bien sûr d’informer la population, d’identifier les personnes infectées, de pouvoir les soigner et de mettre au point un vaccin.
Mais il est préoccupant de constater que l’épidémie de SARS-CoV-2 donne l’occasion à Pékin de renforcer son pouvoir de contrôle sur la société chinoise et donc sur les moins dociles, les artistes ou les intellectuels, qui pourraient subir des entraves supplémentaires à leur liberté de création, à leur liberté tout simplement. Et il est peu probable que l’étau se desserre une fois la contagion jugulée.
Les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, les drones, les robots ont décuplé leur droit de cité pour combattre l’épidémie. Ils sont mobilisés contre une cause exceptionnelle mais, chaque jour, leur usage s’infiltre dans les us et coutumes et devient un recours normal auquel il sera difficile de renoncer, surtout si la contagion dure plusieurs mois. Depuis février, tous les visiteurs de la région de Guangdong (Canton) doivent se déclarer avant d’y pénétrer. Au péage des autoroutes, des drones munis d’un code QR invitent les conducteurs à s’enregistrer en ligne, à préciser l’état de santé de tous leurs passagers et s’ils ont séjourné récemment dans la province de Hubei, à Wuhan, foyer du virus. Au Jiangxi, les habitants s’habituent également au vol régulier de ces quadricoptères. Quand ils sortent sur leur balcon, un drone, équipé d’une caméra thermique, prend leur température. Baidu (le « Google » chinois) a mis au point une technologie permettant, à l’aide de capteurs infrarouges, de scanner le front des voyageurs circulant dans les gares ou les aéroports et de détecter leur température avec une marge d’erreur de 0,05 degré. Le faisceau est invisible à l’œil nu, toute température anormale est signalée. Ailleurs, des drones de surveillance, munis d’un mégaphone chassent ceux qui ont osé sortir sans masque et les admonestent, d’autres dispersent des rassemblements, comme celui d’un petit groupe jouant au traditionnel mah-jong, d’autres encore vaporisent des désinfectants dans les lieux publics. WeChat, le premier réseau social en Chine, offre des consultations virtuelles. Il s’est associé à un robot livreur pour servir des repas aux personnes consignées dans leurs logements ou dans les hôtels.
Dans les hôpitaux, les lieux publics, ce sont des robots qui se chargent du nettoyage. Un robot vocal a été mis au point pour interroger les individus sur leur état de santé, compiler leurs réponses et éventuellement leur enjoindre de rester enfermés pour observation. Son promoteur affirme que cette machine peut réaliser 200 appels en cinq minutes, alors que deux ou trois heures seraient nécessaires manuellement. À Hong Kong, où le coronavirus a mis entre parenthèses la contestation politique contre Pékin, tout individu ayant séjourné dans la région de Hubei doit rester consigné chez lui pendant quatorze jours et porter un bracelet connecté à son smartphone. Tout usage de celui-ci hors du domicile est automatiquement signalé aux services sanitaires et à la police. Le contrevenant risque jusqu’à six mois de prison.
La Chine, qui pratique déjà la reconnaissance faciale dans l’espace public, va faire un saut encore plus rapide et décisif dans la maîtrise à grande échelle de ces technologies insidieuses et dans le développement d’innovations, au prix d’une surveillance et d’une coercition accrues.
Il serait aveugle de ne voir que ce seul pays se livrer à un tel bouleversement. Il y a quarante ans, Michel Foucault, Gilles Deleuze et d’autres philosophes nous alertaient sur la mutation de nos « sociétés disciplinaires » occidentales en « sociétés de contrôle ». Et, chez nous, des candidats aux municipales ont inscrit dans leurs programmes le déploiement de drones de surveillance dans leurs villes. À bon entendeur…
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Coronavirus, vers une société de contrôle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°540 du 28 février 2020, avec le titre suivant : Coronavirus, vers une société de contrôle