Accumulations, inclusions, combustions… mais aussi actions et performances, le Centre Pompidou consacre à Arman (1928-2005) une exposition rétrospective qui témoigne de la richesse d’invention de son œuvre.
Cosignée par huit des artistes du mouvement, la « Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme » l’a été le 27 octobre 1960 en l’appartement d’Yves Klein où Pierre Restany, qui en est le père concepteur, les avait réunis. La signature d’Arman y figure juste en dessous de celle du critique. Pas vraiment lisible pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas son nom. Si Arman doit au Nouveau Réalisme d’avoir imposé son image, il ne faut pas cependant réduire sa démarche à cette seule esthétique. En effet, son art croise, voire anticipe, aussi bien le Pop Art et le happening que l’art conceptuel et la mythologie individuelle, comme l’a justement analysé en son temps Bernard Lamarche-Vadel.
« Cher Arman… », note Restany en forme d’épigramme dans le catalogue de l’exposition « 1960. Les Nouveaux Réalistes », présentée au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1986, « tu conjugues le Discours de la Méthode du Nouveau Réalisme/en Prince de la Pléiade/au plein de la vue/sans jamais faire fi/des bonheurs du hasard. » Fondé sur les principes d’addition et de collection, l’art d’Arman s’en prend à l’objet et vise à en opérer la réification. Né « de l’esthétique de la masse et de la volonté d’appropriation » (Tita Reut), il est à l’écho d’une époque d’après-guerre qui se vautre dans les délices de la consommation. À l’image d’une société qui célèbre l’objet et l’érige en étalon d’une nouvelle modernité.
Empreintes, accumulations… dès le départ, un esprit inventif
D’origine espagnole, né à Nice en 1928, Armand Fernandez est le fils d’un marchand de meubles anciens, peintre du dimanche et violoncelliste amateur, qui initie son fils dès l’adolescence à la peinture à l’huile et éveille en lui l’amour de la musique. En 1946, après une scolarité en dents de scie, Armand entre à l’École nationale des Arts décoratifs de Nice. L’année suivante, dans une école de judo, il fait la connaissance d’Yves Klein avec lequel il se sent pleinement en phase tant intellectuellement que spirituellement. En hommage à Van Gogh, les deux artistes en herbe décident de signer leurs œuvres en abandonnant leur nom de famille. Toutefois, installé à Paris en 1949, Armand suit pendant deux ans les cours d’archéologie et d’art oriental de l’école du Louvre pour finalement accompagner Klein enseigner le judo à Madrid.
De retour à Nice en 1953 après avoir rempli ses obligations militaires, l’artiste qui se constitue une collection d’objets anciens et décoratifs s’intéresse autant à la peinture abstraite qu’à l’art africain. À la suite de la découverte qu’il fait des œuvres de Schwitters et de Pollock, il réalise ses premières œuvres, les Cachets (1955), avec des tampons encreurs de bureau, et les expose à la galerie du Haut Pavé.
En 1958, une coquille en couverture d’un catalogue ampute son prénom du « d » final, aussi décide-t-il d’adopter le nom d’« Arman ». À partir de cette époque, l’artiste ne va plus cesser d’inventer toutes sortes de procédures de création. Aux Allures d’objets (1958), empreintes d’objets imprégnés de peinture à l’huile laissant leur trace sur le papier, succèdent les Accumulations, les Poubelles (1959) organiques et les Portraits-Robots (1960). Une façon de s’approprier le réel objectif, de lui conférer une dimension pérenne et d’opérer la métamorphose du quotidien par le biais d’un langage visuel innovant.
Le « plein » en contrepoint du « vide » de son ami Klein
En octobre 1960, deux jours avant la signature de la fameuse Déclaration, Arman réalise l’exposition « Le Plein » chez Iris Clert, en contrepoint à celle d’Yves Klein, « Le Vide », présentée dans la même galerie deux ans auparavant. Il emplit la totalité de l’espace d’un tas d’objets de rebut récupérés ici et là, de sorte que l’on ne puisse plus y entrer. « Un événement capital, écrit Pierre Restany, qui donne au Nouveau Réalisme sa totale dimension architectonique. » Déterminante, cette exposition, proprement performative, pousse l’artiste à imaginer toute une série de nouvelles propositions, parfois réalisées en public, qui se déclinent à l’ordre des Coupes et des Colères (1961), objets découpés ou sciés ici, cassés et violemment endommagés là, puis des Combustions (1963), objets brûlés et calcinés. Il accompagne volontiers son geste de la réalisation d’un petit film.
À partir de 1961, Arman, qui a l’occasion d’exposer à New York, y fait des séjours réguliers. En 1962, il participe notamment à la fameuse exposition « The New Realists » que présente Sidney Janis dans sa galerie et qui rassemble artistes français et américains. Deux ans plus tard, le Walker Art Center de Minneapolis organise la première exposition muséale. Cette reconnaissance américaine, qui précède celle qu’il connaîtra par suite en France, entraîne l’artiste à s’installer, à partir de 1969, dans une petite maison à Manhattan. Dès lors, Arman partage son temps entre la France et les États-Unis.
La seconde moitié des années 1960 est marquée tant par l’usage nouveau qu’il fait du polyester et du travail des Inclusions que par sa collaboration avec le constructeur d’automobiles Renault au sein d’un projet dit « Art-Industrie ». Dans le premier cas, il met en jeu, non sans un certain humour, toute la matérialité du peintre de chevalet : tubes de couleurs ou d’encre, palettes, fusains, pinceaux… ; dans le second, il accumule ailes et capots de voitures, soude entre eux des vilebrequins, coupe des culasses… Bref, Arman commet tout un travail de mise en pièces que l’usage du béton fossilise par la suite en forme de témoins archéologiques d’un temps passé.
Ainsi des Objets Armés (1971-1974) qu’il présente en 1974 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. L’année suivante, à la Gibson Gallery, il réduit en miettes en 22 minutes un appartement qu’il y avait reconstitué avec sa femme Corice et son assistant. « Une rage insensée s’était emparée de moi, je frappais les bouteilles qui explosaient, je vidais les tiroirs, j’aplatissais les tubes de crème… À la fin, j’étais épuisé. » Intitulée Conscious Vandalism, l’œuvre fit l’objet d’un relevé topographique très précis de tous les morceaux pour en permettre la potentielle représentation.
Arman, un collectionneur accumulateur
Au fil du temps, les expositions se multiplient ici et là partout dans le monde, en galeries comme dans les musées ou les grandes manifestations internationales. Arman le boulimique occupe le terrain tous azimuts. Il accumule les outils en fer, construit un environnement pour la Biennale de Venise (1976), fait une exposition avec des œuvres réalisées à partir de vêtements, etc. Il n’a de cesse d’expérimenter, toujours impatient tant à vérifier la pertinence de sa démarche que de la renflouer de nouvelles propositions. Dans les années 1980-1990, Arman donne dans le monumental et érige de gigantesques tours faites de voitures (Long Term Parking, Jouy-en-Josas, 1982), de valises ou d’horloges (Consigne à vie et L’Heure de tous, gare Saint-Lazare, 1984), de bronzes découpés et soudés (Cavalleria Eroica, Monte Carlo, 1987), voire de chars et de canons dans le béton (Espoir de paix, Beyrouth, 1995).
Surtout il développe ses Collections, les incluant au cœur même de son œuvre dans des accumulations qui témoignent de ce que, comme le disait Arman lui-même, « la création artistique relève d’un fonds commun à l’humanité ». La formule n’est pas innocente du souci qui était le sien de composer à travers l’objet avec toutes les cultures du monde. Puis ce sont les Interactives (1996), sculptures articulées de dieux grecs et romains, les Accumulations en relation (1997) où il joue de deux types d’objets ensemble, les Fragmentations (1998), grandes peintures murales sur panneau qui procèdent d’un geste à la fois très calculé et très organisé.
De la collecte à la collection, du statut d’artiste à celui de collectionneur, Arman – qui est décédé à New York en novembre 2005 – se plaisait à mêler les fils, aussi aimait-il dire qu’il était « un féticheur ». Comme pour justifier le va-et-vient permanent qu’était le sien entre accumulation et collection, entre antiquité et objet contemporain, entre son œuvre et l’œuvre d’art. Quelles que soient les procédures du travail envisagées, Arman n’était jamais à bout de souffle et son rapport à l’objet passe par tous les états d’âme, par toutes les humeurs, par toutes les ironies, par toutes les angoisses. Curieusement, cette façon d’entassement panique, cette propension à tout figer dans la transparence de la résine, cette rage à trancher et à détruire ressortissent bien davantage au soin d’un ordre qu’à toute intention anarchique. Aussi est-ce à la gestion d’un chaos que s’appliquait finalement l’artiste. En véritable archéologue du futur.
1928 Naît à Nice d’un père brocanteur.
1956 Abandonne la peinture abstraite. Première exposition personnelle qualifiée de néo-dada.
1959 Premières Poubelles et Accumulations. L’objet est un « fait plastique ».
1960 Manifeste du Nouveau Réalisme. 1962 Mort de son ami Yves Klein, rencontré en 1947.
1973 Arman devient citoyen des États-Unis où il est reconnu et vit depuis dix ans.
1988 Happening Colère d’instruments sur la place Tiananmen.
1998 Grande rétrospective au Jeu de Paume.
2005 Décède à New York.
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Arman, le grand féticheur
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Arman », jusqu’au 10 janvier 2011. Centre Pompidou, Paris, IVe arr. Tous les jours de 11 h à 21 h sauf le mardi. Tarifs : 8 à 12 euros. www.centrepompidou.fr
Arman, rétrospectivement. Le catalogue de l’exposition Arman au Centre Pompidou est un objet complet. Aux essais contemporains s’ajoutent des écrits d’Arman sur sa démarche artistique et une sélection de textes publiés entre 1960 et 1991 qui permettent une approche rétrospective de la réception critique de son œuvre. À noter également, les nombreux documents historiques qui alimentent la chronologie.
Parallèlement, les Editions Dilecta rééditent Miracle Smith, le premier livre illustré par Arman en 1955. Ses trois bois gravés y habillent le poème en prose de son ami Pascal Claude rencontré en même temps qu’Yves Klein, en 1947.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°628 du 1 octobre 2010, avec le titre suivant : Arman, le grand féticheur