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Nathalie Heinich : « On a assisté à un début d’artification des NFT »

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 2 septembre 2024 - 571 mots

Nathalie Heinich est chercheuse au CNRS et spécialiste en sociologie de l’art et des valeurs. Elle vient de publier Le Marché de l’art au risque du numérique. L’énigme des NFT chez Odile Jacob.

Françoise Benhamou et Nathalie Heinich (dir.), Le Marché de l’art au risque du numérique. L’énigme des NFT, éditions Odile Jacob, 2024
Françoise Benhamou et Nathalie Heinich (dir.), Le Marché de l’art au risque du numérique. L’énigme des NFT.
© éditions Odile Jacob, 2024
Qu’est qu’un NFT ?

Un NFT est un « non fungible token », un certificat de propriété numérique associé à la reproduction elle-même numérique soit d’une image originale, soit d’un objet préexistant, et qui la rend unique. Ce certificat entre sur un marché et est donc doté d’un prix, modifiable bien sûr selon l’offre et la demande. Sa monétisation se fait le plus souvent en bitcoins. Tout cela s’inscrit donc dans une technologie qui n’est pas accessible à tous car elle exige des compétences poussées dans le maniement des outils numériques.

Comment est né le phénomène des NFT ?

Il est né des nouvelles possibilités technologiques offertes par le monde virtuel d’Internet. Elles ont été investies par de jeunes spécialistes de la communication ou du « web-design », très versés dans la manipulation d’images préexistantes et donc portés à produire des images à partir d’images – on l’a vu notamment avec le cas de Beeple, dont un montage d’images numériques a fait l’objet d’un spectaculaire enchérissement – Everydays: the First 5 000 Days vendu aux enchères 69,3 millions de dollars [64,6 M€] en 2021. S’agissant d’images, le marché de l’art s’en est emparé, donnant lieu à des conduites spéculatives.

À quelles conditions les NFT accèdent-elles au statut d’art ?

L’« artification », c’est l’accession d’une catégorie de pratiques ou d’objets au statut d’œuvre d’art, et de leurs auteurs au statut d’artiste. On a assisté ces dernières années à un début d’« artification » de certaines NFT – les images d’images – par leur mise en vente dans des galeries d’art, voire, exceptionnellement, leur exposition dans des musées et même leur acquisition par le Centre Pompidou (réduite, pour l’essentiel, à des dons par les auteurs). Mais ces prémices sont timides et risquent de le rester étant donné l’effondrement très rapide de la bulle spéculative construite autour des NFT. Par ailleurs, il n’existe pas encore, à ma connaissance, de magazine ni de critique d’art spécialisé sur le sujet – ce qui constitue normalement un indicateur important d’« artification » – et le statut juridique pose d’importants problèmes.

Peut-on craindre une auto-qualification des œuvres et des artistes ?

Les NFT ne font qu’exemplifier un mouvement général d’affaiblissement de l’intermédiation grâce à la disponibilité d’outils numériques de mise en scène et de promotion de soi-même, dont on voit tous les jours des exemples sur les réseaux sociaux. Au professionnalisme d’intermédiaires culturels hautement spécialisés, formés et diplômés, se substitue progressivement l’amateurisme d’experts auto-proclamés, voire l’auto-promotion. Ces nouvelles formes sont loin de présenter des garanties équivalentes en matière de fiabilité des processus de valorisation, mais leur facilité d’accès les rend très présentes et souvent populaires. Aux amateurs d’art d’exercer leur vigilance pour éviter de se faire gruger…

Le phénomène des NFT est-il amené à s’amplifier ou à s’essouffler ?

L’essoufflement est patent depuis quelques mois, du moins sur le plan financier. Et le monde de l’art semble n’avoir été que superficiellement atteint par le phénomène, qui s’est plutôt déployé dans le monde très spécialisé des geeks. Notre livre, conçu à l’époque encore récente où les NFT artistiques étaient au plus haut, prend acte de cette chute brutale d’intérêt. La capacité à durer est aussi ce qui atteste une valeur consensuellement admise et susceptible de traverser les générations, voire les siècles. C’est la grande différence entre l’art et la mode…

À LIRE
Françoise Benhamou et Nathalie Heinich (dir.), Le Marché de l’art au risque du numérique. L’énigme des NFT ,
Odile Jacob, 192 p., 21,90 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°778 du 1 septembre 2024, avec le titre suivant : Nathalie Heinich : « On a assisté à un début d’artification des NFT »

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