Blockchain - Comme toute denrée monnayable, l’objet d’art tire sa valeur - et de ce fait sa « collectionnabilité » - de sa rareté.
Cette loi économique explique amplement les déboires de l’industrie musicale et, au-delà, la précarisation d’une large frange de créateurs contemporains depuis l’avènement du numérique et d’Internet : avec la compression des fichiers et la viralité du réseau, les œuvres digitales, qu’elles soient musicales ou visuelles, ont vu s’évaporer tous les moyens mis en œuvre jusque-là pour en gérer la rareté. Parce qu’elles sont faciles à répliquer et à pirater, elles ont vu la gratuité s’imposer comme modèle, au risque de déstabiliser durablement l’économie de la création. Or, le développement de la blockchain pourrait bien transformer du tout au tout cet état de fait.
Lancée via la création du bitcoin en 2008 par l’énigmatique Satoshi Nakamoto, cette technologie permet de stocker et de transmettre des données sans organe de contrôle central. Son caractère décentralisé et réticulaire en fonde justement la puissance : offrant le double avantage de la transparence et de la sécurité, elle constitue une vaste base de données ouverte à tous et inviolable, car elle apparaît sous une forme unique à l’ensemble de ses utilisateurs. En cela, elle pourrait bien réinjecter de la rareté dans le monde digital.
De Dada.nyc à Monegraph et Ascribe, plusieurs plateformes en ligne fondent déjà sur cette technologie un moyen de monétiser les œuvres numériques et d’offrir des garanties aux créateurs comme aux collectionneurs. Aux premiers, la blockchain permet en effet d’éditer des séries limitées, de les authentifier et même de percevoir un pourcentage lors de leur éventuelle revente. Aux seconds, elle offre des moyens de paiement sécurisés en cryptomonnaies et une complète traçabilité des œuvres.
Vu ses nombreux atouts, la « tokenisation » de l’art promet même de s’étendre au-delà des œuvres digitales : Maecenas, la première galerie d’art décentralisée fondée sur la blockchain, a annoncé qu’elle verrait le jour en 2018. Mais si l’intérêt de la technologie résidait justement dans l’opportunité qu’elle offre de mettre en question le paradigme de la rareté ? C’est ce que suggérait en octobre dernier Kenneth McKenzie Wark sur la plateforme e-flux. Dans un article polémique intitulé My Collectible Ass (littéralement, « Mon cul à collectionner »), l’auteur de Un Manifeste Hacker s’interrogeait sur la nature de ce que le collectionneur collectionne, et se demandait comment la viralité des objets digitaux pouvait fonder le désir de les posséder. Il pointait alors ce paradoxe propre à nos sociétés de l’information : plus l’image d’un objet circule, plus cet objet est rare, car il appartient à peu d’images d’obtenir une telle visibilité. En somme, l’économie de la connaissance invite à renverser complètement les termes de la rareté : « L’avenir de la collection pourrait moins consister à posséder la chose que personne n’a, explique ainsi McKenzie Wark, qu’à posséder la chose que tout le monde a. »
Dans ces conditions, mimer la rareté de l’âge pré-numérique pourrait être la réponse la moins pertinente (donc la moins susceptible d’être collectionnée) à la nécessité de refonder l’économie de l’art. Au contraire, c’est en orchestrant l’abondance, à l’instar de certaines plateformes de streaming qui rétribuent en cryptomonnaies le partage et la diffusion des œuvres, que la blockchain pourrait offrir les plus belles perspectives…
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Entre économie de la rareté et collection de l’abondance
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°709 du 1 février 2018, avec le titre suivant : Entre économie de la rareté et collection de l’abondance