Blockchain - Comme le masque de fer, Fantômas ou Banksy, Satoshi Nakamoto est un inconnu célèbre.
Le 31 octobre 2008, dans le sillage de la crise des subprimes et du krach boursier, ce mystérieux avatar publie en ligne un livre blanc. Il y décrit dans le détail une invention à laquelle il travaille en secret depuis des années : la blockchain. C’est une révolution de taille, puisqu’elle permet de réaliser des transactions de manière décentralisée, anonyme et transparente sans tiers de confiance. Quelque temps plus tard, l’homme diffuse le code source du nouveau système monétaire et émet 21 millions de bitcoins – une monnaie censée permettre aux citoyens de se passer des banques, tout en offrant à ses utilisateurs le même anonymat que l’argent liquide. Pourtant, à mesure que le cours de la cryptomonnaie s’envole, il prend ses distances avec sa créature, jusqu’à s’effacer tout à fait. À ce jour, il n’a même pas touché au million de bitcoins en sa possession, ce qui fait théoriquement de lui un homme multimilliardaire. Satoshi Nakamoto s’est évaporé dans la nature, comme s’il avait été dépassé par l’ampleur de son invention.Or, rien n’éveille autant l’intérêt que le mystère. En 2014, Newsweek prétend donc avoir débusqué le créateur de la blockchain de la façon la plus élémentaire qui soit : en cherchant son nom dans l’annuaire. Les médias fondent alors comme un seul homme sur un ingénieur ébouriffé vivant en Californie, qui se trouve brutalement mis en lumière. Ses constantes dénégations finiront par avoir raison de l’acharnement des journalistes. De toute évidence, c’est un simple homonyme, il n’a rien à voir avec le bitcoin. Pourtant, il devient pour beaucoup d’artistes le visage de Satoshi Nakamoto. Dans le champ du crypto art, de Robness à Pascal Boyart, ses portraits sous forme de NFT abondent. L’expression un peu hagarde de l’ingénieur californien débusqué par Newsweek devient un quasi-mème et donne lieu à d’innombrables déclinaisons. D’autres artistes questionnent plutôt la façon dont le vrai Satoshi peut être représenté, dès lors qu’il est sans visage. En 2020, par exemple, Christie’s se lance sur le marché des NFT avec Block 21. Signé par Robert Alice, pseudonyme de l’artiste anglais Ben Gentilli, c’est l’un des éléments de Portraits of a Mind. L’œuvre fragmente l’intégralité du code du bitcoin sur quarante disques peints, disséminés en autant de lieux et « tokenisés ». Elle se donne ainsi pour un portrait « décentralisé » de Satoshi Nakamoto, attentif à sa création plutôt qu’à son identité. Quelques années plus tôt, Maxime Marion et Émilie Brout avaient fait tout l’inverse. Dans The Proof (2014-2018), ils entendent apporter la preuve indubitable que l’individu existe. Pour ce faire, ils plongent dans le darknet, où la drogue, les armes et le porno se monnaient en bitcoins. Leur but ? Établir l’identité de Satoshi Nakamoto via ce document on ne peut plus officiel : un passeport. Au gré d’une longue enquête, ils en commandent donc un à des faussaires pour l’équivalent de 700 dollars, payés en cryptomonnaies. De la pièce d’identité, ne leur parviendra pourtant qu’une image scannée, sans qu’ils sachent s’ils ont été victimes d’une arnaque ou si le passeport s’est perdu en chemin. Pour Émilie Brout et Maxime Marion, son évaporation est en tout cas une preuve : décidément fantomatique, Satoshi Nakamoto ne peut s’incarner dans une forme matérielle, et c’est peut-être ce qui fait de lui un mythe et un ferment pour l’imaginaire.
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Satoshi Nakamoto, portraits d’un sans-visage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Portraits d’un sans-visage