Livre

ESSAI

Sur les traces matérielles de l’esclavage

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2025 - 510 mots

Un ouvrage collectif fait l’état des lieux sur l’histoire de l’esclavage par la culture matérielle, avec une approche voulue centrée sur les populations esclaves.

Comme le rappellent à maintes reprises les auteurs de l’ouvrage, la recherche sur l’esclavage s’est basée jusqu’aux années 1970 sur les documents et vestiges laissés par les Européens.Le livre prend le parti de faire émerger un panorama plus réaliste du mode de vie et des cultures liées à l’esclavage, en Afrique de l’Ouest, aux Antilles et au Brésil. Les auteurs sont d’ailleurs pour partie originaires de ces zones géographiques. Cette approche post-coloniale se traduit par une attention plus vive aux sujets jugés mineurs, comme l’habitat des esclaves marrons en Guyane depuis le XVIIIe siècle, ou la diffusion du personnage de l’esclave suppliant dans les arts visuels aux États-Unis. La première partie de l’ouvrage concerne l’histoire de l’art, avec des études classiques malgré l’approche renouvelée, qu’il s’agisse des peintres français au Brésil au début du XIXe siècle, ou de la représentation des Noirs dans la peinture du XVIIIe siècle (Anne Lafont, lire JdA 515). Cependant, les auteurs s’attachent à souligner l’ambiguïté du regard européen sur les esclaves et populations noires, en tentant de déceler ce qui relève du colonialisme ou au contraire de la conscience de la violence de l’esclavage. Le chapitre sur la série de tapisseries dites Tenture des Indes à la Villa Médicis (Cécile Fromont) met en lumière comment un artiste adapte ses dessins à une œuvre de propagande qui flatte les projets expansionnistes de Louis XIV : les Africains et Noirs du Brésil hollandais y sont représentés comme de « bons sauvages » dans une nature luxuriante à conquérir, alors que les modèles du peintre étaient des princes du royaume chrétien du Kongo venus en ambassadeurs auprès du pouvoir hollandais au XVIIe siècle.

La suite de l’ouvrage aborde la cohabitation entre populations, notamment dans les plantations du sud des États-Unis : le chapitre sur l’obsession des propriétaires d’esclaves pour le « goût » et les bonnes manières s’avère passionnant (Simon Gikandi). Il montre le mimétisme de ces hommes effrayés d’être influencés par leurs esclaves, et qui singent le mode de vie anglais : le langage châtié et l’aménagement intérieur des maisons (bibliothèques) signalent ici la hiérarchie sociale au sein d’un milieu dénué de vie culturelle. Mais c’est la dernière partie de l’ouvrage sur l’archéologie de l’esclavage qui retient l’attention du lecteur, car ce domaine de recherche est en plein essor. Des tentatives de reconstituer les habitudes alimentaires des esclaves dans les Antilles aux études d’urbanisme et de démographie sur la tristement célèbre Gorée (Sénégal), ce sont des pans entiers des traces laissées par les populations « esclavisées » qui surgissent de terre. En l’absence de sources écrites par les esclaves eux-mêmes, il faut s’appuyer sur les vestiges, peu nombreux, et sur des sources orales, et les auteurs rendent compte des tâtonnements de la recherche en train de se faire. Cet ouvrage foisonnant vient donc combler un manque dans les études sur les populations qui ont subi l’esclavage, ouvrant des perspectives pour la recherche en sciences humaines et les politiques mémorielles.

Esclavages, Représentations visuelles et cultures matérielles, Collectif,
éditions du CNRS, 2024, 543 p., 27 €. 16 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : Sur les traces matérielles de l’esclavage

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