Histoire de l'art - Livre

Comment les éditeurs tentent de renouveler le « Gombrich »

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 22 décembre 2020 - 1028 mots

Dans leurs nouveautés en matière d’histoire de l’art, les éditeurs poursuivent les ambitions du pape dans le genre, Ernst Gombrich, tout en renonçant aux manuels exhaustifs. Un exercice d’équilibre qui mène à quelques réussites.

Flammarion © Albin Michel
© Flammarion © Albin Michel

Quelle est la recette d’un livre d’histoire de l’art pour le jeune public ? Le passé en donne de grands exemples. Succédant à la somme de plus de huit cents pages de l’Histoire générale des beaux-arts de Roger Peyre (éd. Delagrave, 1894) et aux mythiques leçons d’Apollo par Salomon Reinach (Hachette, 1904), la première édition française de l’Histoire de l’art d’Ernst Gombrich (1909-2001) a paru aux éditions Phaidon en 1963 (édition originale 1950). Écrite sur un ton familier, elle contextualise l’histoire de l’art et invite le jeune lecteur (sa cible à l’origine) à réfléchir par lui-même. Mais, notait l’auteur, peu de gens savent regarder réellement. Le grand mérite de ce livre aura été d’inciter plusieurs générations à s’exercer à cette discipline du regard et à ne pas se contenter d’idées reçues. Et le public suit toujours : depuis sa sortie, l’ouvrage a été révisé seize fois par l’auteur et a fait l’objet de multiples réimpressions. C’est toujours un best-seller auquel les autres éditeurs ne désespèrent pas de prendre des parts de marché en sortant de temps à autre une nouvelle « Histoire de l’art ».

Cependant, depuis la dernière édition du « Gombrich », en 1995, le sujet s’est encore complexifié. Dans l’introduction de son Histoire de l’art (Flammarion, 2003), Jacques Thuillier n’écrivait-il pas : « Au milieu de tant de richesses proposées par tant d’époques et tant de pays, comment ne pas se sentir perdu ou, pire, comment ne pas perdre à la fois les dons de curiosité et d’étonnement ? » Cet argument, qu’il utilisait pour justifier le choix très personnel des lieux de production, des époques et des artistes qu’il allait présenter, a conduit d’autres auteurs et éditeurs à morceler le propos en fonction de ces critères. Le but étant, comme pour Gombrich, d’éduquer le regard et, comme pour Thuillier, de ne pas user la curiosité du lecteur.

Raconter, décrypter

Parmi les parutions de cette année, Adam Biro et Karine Douplitzky reprennent avec Racontez l’art ! le postulat d’initier les jeunes à l’histoire de l’art. Mais plus personne ne donne un livre à un adolescent en espérant qu’il y apprendra comment apprécier sa prochaine visite au musée. C’est donc aux parents que s’adressent les auteurs : à eux de recevoir les leçons et de les faire passer. Dans ce premier tome, sous-titré « De la Renaissance à l’Art nouveau », d’une série à venir, parents et enfants feront la connaissance de plus d’une centaine d’artistes (sans compter ceux qui sont cités) dont ils analyseront une œuvre – de peinture essentiellement. Ils apprendront en quelle façon ces créateurs s’inscrivent dans l’art de leur temps et de leur pays, et aborderont des détails de technique ou d’esthétique très spécifiques. L’environnement éditorial est moderne, rapprochant le livre, de format moyen, d’un site Internet. Mais le niveau est élevé, d’une grande exigence envers les familles qui joueront le jeu.

D’un grand format, la seconde édition en français de l’ouvrage anglais Une histoire de la peinture. Décrypter les grands tableaux part d’un choix d’œuvres pour construire une histoire générale de la peinture, de la préhistoire à nos jours. Outre l’analyse du style de chaque artiste étudié, on y trouve une grande attention portée à la technique. Les genres sont abordés, de même que les critiques dont les œuvres ont fait l’objet à leur époque, ou encore leur environnement social et culturel. S’adressant à tous les publics, l’ouvrage prend en compte les nouvelles habitudes de lecture – ou plutôt la difficulté contemporaine à se fixer durablement sur un sujet. Le résultat est un livre très honorable que l’on peut feuilleter lorsqu’on dispose de peu de temps : l’occasion de découvrir, d’admirer et d’apprendre sans que l’effort soit démesuré.

Des approches plus particulières

Venue également d’Angleterre, la Petite histoire de l’art moderne et contemporain de Susie Hodge aborde l’histoire de l’art des années 1850 à nos jours. Professeure, autrice d’un nombre important de livres de vulgarisation, Hodge n’est pas une novice. Si elle a choisi de traiter ensemble l’art moderne et l’art contemporain et non de consacrer un ouvrage à chaque époque, c’est probablement pour accompagner en douceur le lecteur peu familier de l’art contemporain vers ce monde qui troublait déjà Gombrich : celui-ci constatait avec étonnement que l’on ne faisait plus « la différence entre œuvres d’art et autres objets fabriqués par l’homme ». Ce petit livre se présente en quatre parties : les mouvements, les œuvres, les thèmes, les techniques. Analyser seulement cinquante œuvres, de L’Atelier du peintre (1854-1855) de Gustave Courbet à All the Eternal Love I Have for the Pumpkins (2016) de Yayoi Kusama, apparaît tout de même comme un survol un peu rapide. On peut aussi s’interroger sur beaucoup d’autres aspects comme la pertinence des thèmes listés par l’autrice. À trop vouloir simplifier, elle tombe dans le simplisme. Même s’il permet de se familiariser avec des notions indispensables, l’ouvrage n’est pas convaincant.

Sur l’art contemporain, précisément, le galeriste Cyrille Putman offre finalement mieux avec Quelle mouche l’a piqué ?, un joli livre rassemblant des « vignettes culturelles » qu’il a réalisées pour la radio, dans lequel il donne des pistes pour comprendre les créations de près d’une centaine d’artistes des années 1950 à nos jours. Le choix est arbitraire (ce sont souvent des personnalités côtoyées par l’auteur) et les textes brefs, mais c’est justement le charme de cet ouvrage très personnel.

Enfin, les gender studies (études de genre), si vivantes dans le monde anglo-saxon, sont toujours négligées en France, du moins en ce qui concerne leur vulgarisation. L’écrivaine et féministe Laure Adler s’y essaie avec Le Corps des femmes dans lequel elle parcourt toute l’histoire de l’art, de la préhistoire à nos jours. Elle la divise en trois périodes : « La femme regardée » (jusqu’aux années 1850), « Les femmes qui nous regardent » (jusqu’aux années 1960) et enfin « Ces femmes qui se regardent ». Nourri d’une grande culture, cet essai, qui est aussi un beau livre, remplit le rôle que s’était donné Gombrich : proposer à ses lecteurs de nouveaux points de vue et leur apprendre à regarder.

Adam Biro et Karine Douplitzky, Racontez l’art !,
éd. Flammarion, 2020, 288 p., 24,90 €.
Collectif, Une histoire de la peinture. Décrypter les grands tableaux,
Flammarion, 2020, 360 p., 29,90 €
Susie Hodge, Petite histoire de l’art moderne et contemporain,
Flammarion, 2020, 224 p., 19,90 €.
Cyrille Putman, Quelle mouche l’a piqué ?,
Flammarion, 2020, 208 p., 28 €.
Laure Adler, Le Corps des femmes,
Albin Michel, 2020, 176 p., 35 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°557 du 11 décembre 2020, avec le titre suivant : Comment les éditeurs tentent de renouveler le « Gombrich »

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque