Des manuels d’histoire de l’art d’un nouveau genre

Élie Faure, Ernst Gombrich : pour l’étudiant qui se lance dans un cursus d’histoire de l’art, la recherche d’un manuel de référence se limitera souvent à ces noms, insignes certes, mais lointains dans le temps. Pour sortir de cette histoire de l’art un peu datée, les Presses universitaires de Rennes (PUR) ont lancé en 2020 une collection de manuels qui proposent une version actualisée de la discipline : les ouvrages, consacrés chacun à une période donnée, de « La petite bibliothèque » en traduisent les nouvelles orientations, que ce soit l’anthropologie sociale, l’étude de la production ou l’approche par le genre.

Le dernier-né de la collection, publié au mois d’avril, est axé sur le XVIIe siècle. Écrit par Olivier Bonfait, professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Bourgogne, il évite ainsi le déroulé chronologique, ou le traitement par grand foyer artistique qu’affectionne traditionnellement ce type d’ouvrage. Il est divisé en dix chapitres thématiques, dans lesquels le statut et le travail des artistes, ainsi que le pouvoir et les ambitions des commanditaires tiennent une place importante. Les apports de la science, le rapport nouveau aux lieux et à la ville, l’évolution de l’organisation du travail artistique sont ici des portes d’entrée pour l’art du XVIIe siècle. Le livre balaye ainsi différentes approches, tant économique, anthropologique, matérielle que théorique, jusqu’à un dernier chapitre qui détaille les apports des sensibilités nouvelles de la recherche sur le Siècle d’or : la question du genre, ainsi que celle d’une histoire de l’art globale, jusqu’à Mexico, ouvrent ainsi des perspectives.

« La collection est conçue comme une mise à jour des récits de la discipline, elle se fait l’écho des dernières avancées, des dernières structures de l’histoire de l’art, explique Jean-Marie Guillouët, professeur à l’université de Bourgogne, directeur de la collection et auteur du manuel dévolu au XVe siècle. Aujourd’hui, l’histoire globale connectée fait qu’on ne peut plus proposer un récit à la Élie Faure, uniquement centré sur l’Europe occidentale. » Ce décentrement permet aussi d’échapper aux biais de l’approche par foyer, qui a créé une forme de hiérarchie dans les productions nationales : à l’image du XVe siècle, inévitablement associé aux grands maîtres du Quattrocento italien. Jean-Marie Guillouët redonne, lui, toute leur place aux primitifs flamands, qui étaient des artistes admirés dans toute l’Europe.

Lancé par Guillaume Glorieux, professeur d’histoire de l’art moderne à l’université Rennes-II et auteur de l’ouvrage consacré au XVIIIe siècle, ce projet éditorial s’inspire d’une collection de l’éditeur italien Einaudi, « La piccola biblioteca ». Les manuels français en reprennent l’organisation, avec une partie synthétique composée d’une dizaine de chapitres, et une partie commentaire d’œuvres, où une quarantaine d’objets reproduits en couleurs bénéficient d’un développement : cette sélection d’œuvres incarne les lignes de force développées dans la synthèse.

Ainsi, dans le carnet commenté de l’ouvrage sur l’art du XVIIe siècle, les grands maîtres cohabitent avec des exemples puisés dans les arts décoratifs, meubles, textiles, et même des productions de la jeune Amérique comme le décor de l’église de Oaxaca. L’ambition de la collection est aussi d’offrir un récit conforme à la réinvention de la discipline à partir des années 2000, avec une extension au-delà du strict champ des beaux-arts et un intérêt pour les diverses formes de la production visuelle : artisanat, imagerie populaire…

Ce parti pris se retrouve dans la forme : « Ce ne sont pas du tout des beaux livres !, prévient Jean-Marie Guillouët. L’idée est de sortir le livre d’histoire de l’art de la catégorie des beaux livres, je demande aux étudiants qui l’utilisent de ne pas hésiter à écrire dessus, surligner, corner. » Couverture souple, format pratique et prix accessible en font un bon outil de travail pour le premier public visé, les étudiants. « C’est un outil qu’ils reçoivent bien, explique le directeur de la collection, qui utilise lui-même son volume sur le XVe dans ses cours. Les étudiants ont une vraie difficulté à évaluer la validité des sources, le manuel leur fournit un corpus de connaissances viables et stabilisées qui les rassure. Beaucoup me disent que c’est “reposant” d’avoir ce volume bien identifié. »

Mais ces manuels sont aussi des ouvrages personnels dans lesquels les auteurs peuvent développer des hypothèses : « J’engage les auteurs à faire de la place à leurs lubies personnelles, à livrer le retour de vingt ans d’enseignement qui leur a permis d’envisager des problématiques pour lesquelles ils n’ont jamais trouvé de support d’expression. » Le profil de ceux-ci est diversifié, entre chercheurs confirmés et maîtres de conférences en début de carrière. Sujets à venir de ces manuels publiés à un rythme de deux par an : les mondes sinisés, les arts byzantins, les arts mérovingien et carolingien, les XIIe, XIIIe et XVIe siècles, avant les XIXe et XXe siècles.