Les collections volées du projet humaniste qu’était la Fondation Vasarely font régulièrement parler d’elles au gré des procès et des restitutions. Julie Malaure raconte cette affaire toujours pendante.

Un artiste célébrissime, ses deux fils incompatibles, deux brus qui se haïssent, des enfants de la main gauche, deux galeristes intrépides, un professeur de droit et un avocat véreux, un gigolo… En s’attaquant à l’« affaire Vasarely », Julie Malaure a choisi une histoire qui, romancée, ferait un parfait page-turner. C’en est un, mais sans fiction : cette journaliste à la solide formation d’histoire de l’art a voulu approfondir un sujet qu’elle avait déjà traité dans quelques courts articles. Trois personnes, dont le petit-fils de l’artiste, Pierre Vasarely, ont écrit leur version de ce que ce dernier a qualifié de « pillage » dans un livre coécrit avec la journaliste Laëtitia Sariroglou. L’autrice aurait pu se contenter de compiler ces récits et les articles de journaux qui ont jalonné les faits. Cependant, pour rédiger son livre qui « se situe […] dans ce que les Anglo-Saxons appellent la narrative non-fiction», écrit-elle en préambule, elle a remonté les pistes une à une et interviewé ceux qui pouvaient donner de la chair à son enquête.

Au cœur du livre, six chapitres portent chacun le nom d’un protagoniste. Aucun n’est consacré à Pierre Vasarely mais c’est lui, le président de la Fondation Vasarely [à Aix-en-Provence], « homme passionné et en croisade », qui a dénoué pour Julie Malaure les fils de l’affaire.
Le premier personnage que nous rencontrons est naturellement Victor Vasarely (1906-1997). Après un bref prologue romancé – la partie “narrative non-fiction” de chaque chapitre – la journaliste raconte l’arrivée à Paris du Hongrois, sa rencontre avec la future galeriste Denise René, sa réussite, la quasi-industrialisation de son œuvre et l’idée de la fondation qui porterait son nom, destinée à mettre l’art à la portée de tous, « une utopie marxiste ayant valeur de testament » qui déshérite de fait ses deux fils.
Le Rastignac qu’est Charles Debbasch prend la suite. Doyen de la faculté de droit d’Aix-en-Provence, il a le don de se faire des relations haut placées. Ayant accepté de prendre en 1981 la présidence de la Fondation Vasarely qui rencontre des difficultés financières, il en profite pour s’introduire dans le monde de l’art puis se met à vendre des œuvres pour, prétend-il, abonder une nouvelle fondation en Suisse – qui n’existe pas. L’enquête d’un journaliste dévoile le pot aux roses. La lutte commune contre le fringant juriste aura soudé provisoirement les deux fils de Victor, André le pâle médecin et Yvaral (Jean-Pierre Vasarely) le flamboyant artiste.
À la mort de leur mère en 1990, ils réclament leur part d’héritage, ce qui, indirectement, fera tomber Debbasch. Victor n’ayant plus toute sa tête, c’est un avocat, Yann Streiff, qui arrange l’affaire. En 1995, sous sa houlette, un arbitrage bricolé et sans expertise des œuvres restitue aux deux fils l’intégralité des collections de la fondation : « Les deux sites […], Aix et Gordes, sont vidés de tout ce qui est transportable : 430 toiles, 798 études, 18 000 sérigraphies. » Streiff, payé en nature, emporte 87 œuvres dont il s’empresse de mettre une partie sur le marché. Quand, en 2015, la Cour de cassation jugera l’arbitrage définitivement frauduleux, il en restera peu à récupérer.
La belle-mère, l’amant et le fils caché
La galeriste Anne Lahumière est depuis longtemps en affaires avec Victor Vasarely – l’autrice écrit qu’il a quitté « Denise pour Anne ». Celle-ci accepte en 1995 de siéger au conseil d’administration de la fondation que Michèle, l’épouse d’Yvaral, fait fonctionner et au sein de laquelle elle a le rôle d’experte de l’artiste. Anne Lahumière est décédée en 2017 et c’est sa fille, Diane, qui raconte à Julie Malaure comment sa mère s’est retrouvée mêlée à la vente de toiles détenues par Streiff et à l’acquisition d’une œuvre après la mort de l’éditeur d’art Gerd Hatje, œuvre que Pierre Vasarely réclame aujourd’hui pour la Fondation.
Arrive le personnage le plus romanesque de cette saga, Michèle Vasarely. Deuxième épouse d’Yvaral et belle-mère de Pierre, elle mène un duel à mort contre celui qui a aujourd’hui en main les destinées de la fondation. Pierre n’est pas tendre envers son père, un viveur très intéressé par l’argent, mais c’est bien Michèle qui est partie à Porto Rico avec des centaines d’œuvres de Victor Vasarely, estimant qu’il s’agissait de la part d’héritage d’Yvaral, décédé en 2002. L’arbitrage ayant été jugé frauduleux, elle aurait dû les rendre, mais elle a opportunément décidé de les intégrer dans sa propre « fondation Michèle Vasarely » qui n’existe que sur le papier. Désormais âgée (elle est née en 1941), cette femme haute en couleur a vu en avril 2023 le FBI débarquer chez elle pour lui confisquer 112 œuvres – qui, d’ailleurs, ne sont toujours pas parvenues à la fondation. Un jeune amant lui en a volé quelques-unes, mais cela ne fait toujours pas le compte : elle reste à la tête d’un beau pactole que son beau-fils bataille pour récupérer. Dans cette famille dysfonctionnelle, un homme observe ce chaos. Il s’appelle Xavier Terlet, et, né en 1959, il a découvert sur le tard qu’il était le fils d’André Vasarely. Ne réclamant aucun héritage, il ne souhaite qu’une chose : pouvoir porter le nom de « Terlet-Vasarely ».
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L’affaire Vasarely, le roman vrai d’une « utopie marxiste »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : L’affaire Vasarely, le roman vrai d’une « utopie marxiste »