Le catalogue raisonné de l’œuvre d’Albert Gleizes (1881-1953) se présente comme un modèle du genre. Objet d’étude rigoureux, il offre un inventaire exhaustif des réalisations de l’artiste.
L’ensemble, qui se veut en tout point fidèle à la pensée du peintre, est solidement charpenté : deux volumes, divisés chacun en six périodes, articulent ainsi chronologiquement l’évolution esthétique de Gleizes de ses premières toiles impressionnistes au cubisme puis, entre 1928 et 1933, à Abstraction-Création, pour finir, après les gravures pour les Pensées de Pascal en 1949-1950, sur un « nouvel élan » interrompu par la mort. L’un des objectifs avoué et louable de l’ouvrage est d’inciter à la réévaluation de l’œuvre de ce peintre qui, jusqu’à la fin de sa carrière, s’est considéré comme un « peintre cubiste » perpétuant un art d’expérimentation, par essence, fugitif. Comme le souligne Michel Massenet, président de la Fondation Albert Gleizes, l’histoire de l’art ne lui a donc octroyé qu’un statut d’épigone ou au mieux de théoricien d’un art d’avant-garde initié au début du siècle par Braque et Picasso. Sans doute, si tel est leur problème, les spécialistes de cette période trouveront-ils dans ce catalogue de quoi déterminer précisément la place de Gleizes afin, peut-être, de le rehausser dans la hiérarchie de l’histoire. Au-delà d’une question de classement, ce catalogue raisonné permet d’observer en détail l’esthétique que formule progressivement Albert Gleizes, entre 1909 et 1915 notamment. Cette observation est souvent facilitée par le regroupement des étapes successives d’une peinture aboutissant, par exemple, à La Femme à la cuisine de 1909 à 1911 ou à L’Hamac en 1913 – contraction verbale de son autre titre L’Homme au hamac. À l’image de ce mot valise fusionnant deux termes, la peinture de Gleizes, semble alors interroger ce point aveugle de l’espace cubiste, touché dès 1910 par Braque et Picasso, où la perméabilité entre l’espace pictural et l’objet équivaudrait à la dissolution de ce dernier, c’est-à-dire à sa perte. Or, comme l’écrivait Gleizes en 1912 avec Jean Metzinger, « [...] avouons que la réminiscence des formes naturelles ne saurait être absolument bannie, du moins actuellement. On ne hausse pas d’emblée un art jusqu’à l’effusion pure. » Cette résistance à l’abstraction parcourt toute l’œuvre de Gleizes et ses incursions en ce domaine, paraissent essentiellement destinées à dynamiser un espace de représentation moderne. En cela, les conceptions que le peintre exposait en 1912 dans son ouvrage Du cubisme préparent, ou anticipent même, le retour à l’ordre de l’après-guerre. On y décèle une volonté de réunir et d’ordonner, selon une pensée classique, les recherches dissociatives de l’art d’avant-garde : d’une part un art de la pure couleur où, écrit-il, « la rétine prédomine sur le cerveau » et, de l’autre, le travail cubiste de la forme au détriment de la couleur. Dans l’ensemble, au-delà de ses nombreuses inflexions, son œuvre reflète ce souci d’équilibre dans la visée d’un ordre nouveau propre à constituer un « héritage » cohérent, que ce catalogue nous propose de découvrir.
Albert Gleizes, Catalogue raisonné en 2 volumes, sous la direction de Daniel Robbins, éd. Somogy, 830 p., environ 3 000 ill., 1250 F, ISBN 2-85056-286-6.
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Catalogue raisonné d’Albert Gleizes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°505 du 1 avril 1999, avec le titre suivant : Catalogue raisonné d’Albert Gleizes