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70 ans de L’Œil, l’histoire d’un regard

Par La rédaction de L'Œil · L'ŒIL

Le 25 février 2025 - 1212 mots

Créé en 1955, le magazine L’Œil n’a cessé de conjuguer ambition culturelle et volonté de parler à tous, dans un souci constant d’ouverture aux formes, aux artistes et aux évolutions de l’art et du monde. Soixante-dix ans d’une histoire journalistique et esthétique, pour un magazine qui a su tisser des liens indéfectibles avec des générations de lecteurs et devenir, avec le temps, une institution dans l’histoire de l’art des XXe et XXIe siècles. À travers son audience, sa longévité et sa qualité éditoriale, L’Œil a profondément marqué le goût de son époque et ouvert l’art à un public toujours plus large.

Couvertures numéros L'Œil depuis 1955.
Des couvertures de L'Œil depuis 1955.

Peu après la Seconde Guerre mondiale, la journaliste américano-britannique Rosamond Riley (1916-2016) s’installe à Paris comme correspondante européenne pour le magazine américain Vogue. Très vite, elle fréquente les peintres et écrit sur eux. Elle est passionnée par l’art et convaincue qu’une revue d’art vivante et accessible peut toucher un large public. Elle partage cette vision avec son mari, Georges Bernier (1911-2001), journaliste et critique d’art. Ensemble, ils persuadent Jean Claude Abreu, un financier franco-cubain, de soutenir leur projet. En janvier 1955, le premier numéro de L’Œil voit le jour, marquant le début d’une aventure éditoriale unique qui allait initier plusieurs générations à l’art.

Un projet audacieux

Dès le départ, L’Œil affiche une mission claire : démocratiser l’art en combinant simplicité, originalité et une mise en page qui sublime les œuvres tout en les rendant accessibles. Le choix du titre, comme le raconte Rosamond Bernier, reflète cette ambition : « Nous voulions un mot évoquant la vision, et L’Œil m’a séduite par le “E” dans l’“O”. » L’objectif était que la revue puisse être lue partout, y compris dans le métro, un lieu symbolique de la vie quotidienne. C’est le directeur artistique Robert Delpire – qui fut par la suite l’un des plus grands éditeurs de photographie – qui eut l’idée de placer le titre sur la gauche.

Article de L'Œil consacré à Giacometti dans le n°135 de mars 1966. © Granon Digital / L'Œil
Article de L'Œil consacré à Giacometti dans le n°135 de mars 1966.
© Granon Digital / L'Œil

À l’époque, les publications d’art se limitaient souvent à des cercles confidentiels. La revue Connaissance des Arts, créée en 1952, traitait davantage des arts décoratifs. En comparaison, L’Œil, vendu 200 francs (équivalent à 3,6 € aujourd’hui), visait un public plus large. Le premier numéro, avec sa couverture en bleu monochrome reproduisant La Grande Parade de Fernand Léger, offrait déjà un contenu varié : un article sur la Renaissance française, une introduction au rococo, un entretien inédit avec le marchand cubiste Daniel-Henry Kahnweiler et un portrait d’Alberto Giacometti enrichi de photos intimes.

Une référence dans le monde de l’art

Durant ses premières années, L’Œil devient une publication majeure pour l’histoire de l’art. À une époque où les expositions étaient rares et les voyages à l’étranger réservés à une élite, la revue publie des études originales et inédites de spécialistes reconnus. L’historien de l’art Jacques Thuillier redécouvre Simon Vouet (1590-1649), tandis qu’André Chastel présente des extraits de son œuvre sur la Renaissance italienne. Des artistes comme Joan Miró, Jean Tinguely ou Max Ernst donnent des entretiens marquants, et certains, tels que Georges Mathieu, collaborent même à la mise en page des articles qui leur sont consacrés. Les photographies de Robert Doisneau, quant à elles, enrichissent la revue d’un regard authentique.

En plus de l’art classique et contemporain, L’Œil s’intéresse au design, à la décoration intérieure et à l’architecture. La rubrique « L’Œil du décorateur », confiée à la célèbre designer Andrée Putman, témoigne de cette diversité. Les grands projets architecturaux de l’époque, comme le palais de l’Unesco ou les ensembles de Sarcelles, trouvent également leur place dans ses pages.

Une économie fragile et des évolutions

Malgré son succès critique, L’Œil a toujours dû composer avec une économie instable, étroitement liée aux fluctuations du marché de l’art. Ses fondateurs développent alors des activités annexes, notamment une galerie d’art active de 1962 à 1973. Cependant, la séparation de Georges et Rosamond Bernier en 1968 marque un tournant. Georges dirige seul la revue pendant quelques années avant de passer la main en 1973.

Couvertures de L'Œil des numéros 1 et 500  © Granon Digital / L'Œil
Couvertures des numéros 1 et 500 de L'Œil.
© Granon Digital / L'Œil

Sous la direction de l’historien de l’art et éditeur Gilles Néret, soutenu par son épouse Kuniko Tsutsumi, une riche héritière japonaise, L’Œil se modernise avec une mise en page audacieuse et une ouverture à des thèmes nouveaux comme la bande dessinée ou la photographie. Mais cette période, bien que novatrice, reste de courte durée. François Daulte, spécialiste des impressionnistes, reprend les rênes en 1976, offrant une direction plus classique à la revue, rachetée ensuite par Solange Thierry, entrée à la rédaction en 1971, et qui reste rédactrice en chef jusqu’en 1997.

De nouvelles ambitions

Au fil des décennies, L’Œil s’adapte à l’évolution du monde de l’art et à la concurrence accrue. Dans les années 1970-1980, des revues comme Artpress (1972) et Beaux Arts Magazine (1983) bouleversent le paysage. Pour rester pertinente, la revue modernise sa présentation : en 1989, le papier devient plus brillant, en 1992, la maquette est modernisée et en 1995, des fiches pratiques sur les expositions enrichissent le contenu, dans un format de magazine légèrement réduit.

En 1997, L’Œil passe sous la direction de Gallimard, qui tente de relancer la revue avec une maquette rénovée et une baisse de prix, sous la rédaction en chef de Guy Boyer. Mais les résultats déçoivent, et la revue change à nouveau de mains, un an plus tard, en rejoignant les Publications Artistiques Françaises, l’éditeur du Journal des Arts – Guy Boyer étant confirmé rédacteur en chef et ce jusqu’en 2001 –, tandis que le titre est cédé à Nart, un éditeur de portail Internet spécialisé dans l’art qui ne résiste pas à l’explosion de la bulle technologique. En 2002, Jean-Christophe Castelain se porte acquéreur, via la société Artclair, des deux titres, L’Œil et Le Journal des Arts. L’Œil gagne en fréquence, passant à onze numéros annuels. Depuis 2002, Annie Perez (2002-2004), Jean-Christophe Castelain (2005-2012 et 2023-2024), Fabien Simode (2011-2023), Aude-Claire de Parcevaux (2023) et Olivier Celik (depuis juin 2024) assurent la rédaction en chef.

7 clefs pour mieux comprendre Fra Angelico dans L'Œil n°575 de décembre 2005. © Granon Digital / L'Œil
7 clefs pour mieux comprendre Fra Angelico dans L'Œil n°575 de décembre 2005.
© Granon Digital / L'Œil

Fabien Simode, aujourd’hui directeur des médiathèques de Maisons-Alfort, explique les changements de formule, notant qu’en 2005, « L’Œil était passé du statut de “revue” à celui de “magazine”. En 2013, il s’agissait de poursuivre cette révolution, dans un monde de l’art qui avait considérablement changé depuis 2000, avec la multiplication des expositions et la hausse de leur fréquentation, l’ouverture de nouveaux musées et des fondations privées partout dans le monde, la reconnaissance de domaines artistiques restés dans les marges (la photographie, l’art brut, l’art urbain…), sans oublier la globalisation de l’histoire de l’art qui s’ouvrait, enfin, aux artistes femmes et aux “modernités plurielles”. Dans ce contexte en pleine ébullition, nous avons souhaité positionner L’Œil non plus comme un magazine d’art contemporain ou ancien, mais comme “un magazine contemporain sur l’art”, couvrant une période allant de l’art pariétal à la création technologique la plus avancée. Cela a été une période véritablement stimulante. »

Aujourd’hui, le magazine demeure fidèle à son ADN, comme en témoigne le premier éditorial, dont on pourrait assumer chaque mot. L’Œil s’appuie sur son histoire pour construire son avenir selon trois axes forts : un engagement des critiques et des analyses pour livrer une information de qualité dans un paysage médiatique saturé ou insipide, une attention renforcée pour les événements en décentralisation reflétant le dynamisme culturel de l’ensemble du territoire, et l’affirmation d’une ouverture et d’une curiosité à même de satisfaire les lecteurs fidèles comme les nouvelles générations.

Célyne Baÿt-Darcourt interviewe le rédacteur en chef de L'Œil Olivier Celik sur France Info - 25 février 2025
Remerciement
La numérisation des numéros de L’Œil reproduits dans cet article, dont certains sont particulièrement fragiles, a été rendue possible grâce au concours amical du laboratoire Granon Digital, que nous remercions chaleureusement.
Granon Digital,
63, rue Daguerre, Paris-14e, www.granondigital.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°783 du 1 mars 2025, avec le titre suivant : L’Œil, l’histoire d’un regard

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