Art contemporain - Presse

Les 70 ans de L’Œil

2 artistes, 2 couvertures

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 19 février 2025 - 1105 mots

Célébrer l’anniversaire de L’Œil aux côtés des artistes était une évidence. Deux d’entre eux ont été sollicités par le magazine pour inventer une couverture originale, réalisée pour l’occasion. Récit d’une création.

Les deux couvertures avec des œuvres créées par Jean-Philippe Delhomme et Mathilde Denize à l'occasion des 70 ans de L'Œil.
Les deux couvertures avec des œuvres créées par Jean-Philippe Delhomme et Mathilde Denize à l'occasion des 70 ans de L'Œil.
Photo Tanguy Beurdeley
Courtesy Jean-Philippe Delhomme / Mathilde Denize & Galerie Perrotin
Des couvertures entre passé et présent

L’enjeu était à la fois simple et complexe : imaginer une couverture qui ne soit pas une pure commande, qui respecte l’univers esthétique de chaque artiste et la liberté du geste créatif, mais qui s’inscrive aussi dans la « cover story » du magazine, c’est-à-dire, en deux mots, une place centrale laissée à la figuration et une incarnation forte. Pour Jean-Philippe Delhomme, dont une part importante de l’œuvre est un travail de portraitiste, la contrainte semblait naturelle. Pour Mathilde Denize, qui explore davantage les textures, les juxtapositions et superpositions de matières, le déplacement fut plus marqué, même si, dans l’histoire de L’Œil, une telle approche a aussi donné lieu à de nombreuses couvertures, notamment aux origines. Pour dessiner, symboliquement, le lien entre le passé du magazine et son présent, nous avons imaginé, le directeur artistique Michael Burou, les artistes et moi, le rédacteur en chef, que les artistes pourraient s’emparer d’un tableau appartenant à l’histoire de l’art pour le réinterpréter. Les contraintes techniques ont été fixées : place du logo, espaces disponibles pour le titre et les manchettes. Puis nous avons échangé, parlé des liens entre le projet et leurs travaux respectifs : avec Mathilde Denize, dans son atelier de Saint-Ouen, quelque peu vidé de grandes pièces parties pour une exposition au Frac Île-de-France ; puis avec Jean-Philippe Delhomme, qui travaille dans le 14e arrondissement de Paris, dans un immeuble d’ateliers, qui a notamment vu s’installer Lee Miller, Pierre Soulages ou Simone de Beauvoir.

Henri Matisse pour Jean-Philippe Delhomme

« Je travaille souvent en peignant des livres. Ce sont des hommages, des études, des sujets. Henri Matisse est l’un des peintres que je regarde le plus. En cherchant ce qui pourrait être le plus facilement reconnaissable pour la couverture de “L’Œil”, je me suis arrêté sur “La Blouse roumaine” (1953). J’ai souhaité demander à la personne qui pose de trouver l’attitude qui renvoie au tableau original, et nous avons vu que cela passait par la posture des mains. C’est une peinture que Matisse a reprise, effacée, puis recommencée. J’ai toujours peint, mais quand j’ai commencé à travailler, la peinture était déconsidérée. Or ce qui m’intéressait justement, c’était représenter, peindre des gens. J’observais beaucoup les photographes, et notamment les photographes de mode, et il me semblait que je pouvais poursuivre ce même geste en peinture. C’est la manière dont je voulais participer à la société, et c’est pour cela que j’ai beaucoup travaillé pour la presse ou la publicité. À cette époque, je considérais que le médium imprimé me permettait de diffuser mes peintures. J’utilisais les commandes comme prétexte à montrer mon travail. Si j’avais été musicien, j’aurais voulu faire des choses qui passent à la radio. Cela me permettait aussi de voyager, de rencontrer des gens, de m’ouvrir à d’autres cultures.

À partir de 2009-2010, j’ai changé un peu mon approche et me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus, c’était de peindre ce qui était devant moi, sans narration. M’oublier pour être simplement dans la présence de ce que je vois. Observer sans opinion préconçue. C’est presque une éthique. La toile réalisée pour la couverture de “L’ŒIL” est un hommage à Matisse, le plus humble possible. La peinture est une conversation entre tous les peintres. »

René Magritte pour Mathilde Denize

« Mon choix s’est porté sur “La Reproduction interdite” de René Magritte (1937). C’est un peintre qui travaille la figure d’une manière qui inspire aujourd’hui beaucoup d’artistes figuratifs. Dans mon parcours, je suis partie de la peinture figurative, avec une obsession narrative, mais c’était difficile pour moi d’assumer d’aller au bout du récit avec la figure. J’ai tout redécoupé et recomposé en fragments, jusqu’à une certaine forme d’abstraction, tout en travaillant beaucoup sur la présence, d’où les costumes en 2D ou en 3D. J’ai observé, depuis cinq ou six ans, ce regain pour la peinture figurative, qui est lié selon moi à la saturation des images véhiculées par les réseaux sociaux : il fallait résister à ce déferlement, représenter des choses qu’on ne représente plus, ou mal. Mon travail s’inscrit un peu à distance de cela, car il ne donne que des signes figuratifs : une main, une chaussure, un œil. J’ai été très nourri par les œuvres de Georgia O’Keeffe et Hilma af Klint, pour leur jeu de la couleur et de la forme en lien avec un certain formalisme géométrique ou organique, mais aussi anthropomorphique. Pour le projet de couverture de ce numéro anniversaire, j’ai senti en moi une résistance à me déplacer vers un travail plus figuratif. Mais Magritte, avec son monde peuplé de chimères et de corps étranges, m’a permis de voir où était mon espace de liberté et de recomposition, en lien avec mon travail actuel, qui est un rapport très physique à l’acte de peindre. »

Biographie de Jean-Philippe Delhomme

Jean-Philippe Delhomme (né en 1959) perpétue la figuration avec une approche classique du paysage, de la nature morte et du portrait, peignant directement son sujet sans photographie. Ses œuvres capturent l’instant, qu’il s’agisse d’une lumière changeante ou d’une présence éphémère en atelier. Parallèlement à une carrière en presse et communication, il n’expose qu’à partir de 2017. Diplômé de l’Ensad en 1985, il privilégie longtemps l’illustration pour toucher un large public et collabore avec des publications internationales et grandes marques, notamment pour Barneys avec l’écrivain et critique Glenn O’Brien. Auteur de plusieurs ouvrages illustrés, il délaisse peu à peu le commentaire social pour une peinture méditative. Son regard d’observateur nourrit désormais ses compositions, organisant livres et artéfacts comme une enquête visuelle. Il a récemment exposé au Musée d’Orsay, au Pacific Design Center (West Hollywood)et à Isetan Shinjuku (Tokyo).

 

Biographie de Mathilde Denize

Mathilde Denize (née en 1986) explore la peinture, l’installation, la sculpture, la performance et la vidéo, cherchant à donner du sens à un présent fragmenté. Collectionneuse d’objets rejetés, elle découpe et tisse ses anciennes peintures avec des matériaux trouvés, créant de nouvelles œuvres à partir des vestiges du passé, métaphore de l’existence humaine. Inspirée par la plasticienne américaine Carolee Schneemann, elle engage le corps dans son art, utilisant des vêtements évoquant des figures féminines sexualisées comme armures et camouflages. Ses peintures, semblables à un journal ouvert, dialoguent avec ses sculptures dans une archéologie contemporaine des formes oubliées. Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2013, après des études de cinéma à l’université Paris-Nanterre, elle développe un langage artistique où la gestuelle subtile et les matériaux récupérés réinventent l’histoire des objets et des corps.

Les deux couvertures des 70 ans de L'Œil

Jean-Philippe Delhomme, Searching for Matisse / Léa et la blouse roumaine, huile sur toile, 33 x 41 cm, 2025.
Courtesy Jean-Philippe Delhomme et la galerie Perrotin
Photo Tanguy Beurdeley

Mathilde Denize, Face, de dos, collage numérique, 2025
Courtesy Mathilde Denize et la galerie Perrotin

Remerciements

Nous remercions la galerie Perrotin et Coralie David, directrice associée pour la presse et la communication, d’avoir contribué à ce projet de couvertures inédites.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°783 du 1 mars 2025, avec le titre suivant : 2 artistes, 2 couvertures

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