Galerie

Wang Du : « Je vois le monde comme une succession de maladies »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2016 - 759 mots

Wang Du s’empare du vaste espace secondaire de la galerie Laurent Godin, à Paris, afin d’y déployer sa Clinique du monde (2016). Dans cette vaste succession d’enclaves partiellement cloisonnées, s’enchaînent huit services hospitaliers pensés en relation avec autant de désordres qui minent le monde contemporain.

La Clinique du monde est-elle un lieu de constat des désordres du monde actuel ou un lieu de soin et de réparation ?
Soigner, je ne crois pas. Comment pourrait-on soigner tout cela ? Il s’agit ici de donner à voir mes propres points de vue. Je montre des phénomènes de la manière la plus objective possible, parfois un peu extrême sans doute, mais ce sont mes points de vue. Il y a en fait deux raisons à ce projet. La première est ce grand espace de la galerie, autrefois un entrepôt, qui est très structuré. Il m’a donné envie de penser un projet global plutôt que de le remplir avec des œuvres existantes ; j’aime que ce soit lui qui ait amené quelque chose. La deuxième, c’est que l’art n’est pas seulement pour moi un objet esthétique, de luxe ou de mode, mais une sorte d’intervention vers la réalité, vers le monde, vers le vécu. Quand je regarde le monde, je le vois comme une succession de maladies, il y a des problèmes dans tous les sens. La galerie m’a donc semblé pouvoir être un lieu public transformé en une clinique, avec des espaces cloisonnés par des rideaux légèrement transparents accueillant différents services de médecine. Une structure s’est donc greffée sur celle existante, afin de reconstruire une architecture. Et ce dispositif crée une vision en deux temps entre des choses proches et d’autres qui apparaissent un peu lointaines.

Lorsque vous parlez d’objectivité, qu’est-ce qui est objectif ?
Il n’y a jamais d’objectivité en effet et je ne le serai jamais. Mais comme il n’y a pas de véritable objectivité, j’ai envie de donner un point de vue le plus objectif possible. Il y a par exemple une section « cancérologie », qui est en fait une morgue renfermant un diptyque en marbre figurant deux cercueils marqués « ONU » et « OTAN ». Selon moi, ces organisations internationales ne fonctionnent plus. L’Otan est d’ailleurs une structure issue de la guerre froide, dont on peine à voir aujourd’hui l’intérêt pour le monde. Le service « chirurgie » renvoie, lui, à l’idée de guerre, la guerre dans laquelle les corps finissent éclatés et en morceaux ; il y a ici des robots aspirateurs, qui se déplacent entre vingt morceaux d’une carte d’un monde fragmenté.

Plastiquement vous traduisez cela avec des expressions très diverses…
Ce projet a un petit avantage pour moi, car avec les différents services, j’ai pu faire en effet des pièces distinctes  avec des matériaux et des techniques variés, et donc des images très différentes. On trouve par exemple la grande sculpture du chat et de la souris [le service de « médecine interne » en lien avec l’idée de sécurité internationale] qui est quelque chose de classique dans mon travail : remodeler une image en trois dimensions. Mais sinon, on trouve dans cet ensemble une installation de la vidéo, des sculptures en marbre, des photos, de la mécanique, du bois, etc. Cette exposition m’a permis de devenir plus libre. C’est un projet d’ensemble, mais ce sont finalement huit projets différents, sans esthétique globale traversant les œuvres.

À propos de la manipulation des images que vous évoquiez, qui tient aussi de la déformation, ces idées sont-elles en lien avec la rapidité de circulation des images aujourd’hui ?
Oui bien sûr. Qui se concentre vraiment pour regarder une image ? Aujourd’hui, notamment grâce à la technique, il y a une déformation automatique de l’image. L’image est pour moi un sujet recadré, mis en page en petit ou grand format, etc. Tout cela fait participer à la déformation. Je dois redéfinir ce qu’est cette image et je me suis beaucoup consacré à cela. Il y a ici un service de « psychiatrie et cardiologie », dans lequel on trouve mille photos issues d’Internet mêlant notamment des discours d’hommes politiques et toutes sortes de fan-club de footballeurs  ou de vedettes, qui pour moi sont des sortes de maladies. Je considère l’image comme du matériel.

Est-ce à dire qu’aujourd’hui une image ne peut plus avoir aucun lien avec la réalité ?
Elle m’apparaît justement comme étant la réalité, car la réalité est passée et ce qui en reste c’est l’image. Elle est plus réelle que la réalité réelle, car la réalité réelle ne reste que dans l’imagination.

WANG DU. LA CLINIQUE DU MONDE

jusqu’au 17 décembre, Galerie Laurent Godin, 36 bis, rue Eugène Oudiné, 75013 Paris, tél. 01 42 71 10 66, www.laurentgodin.com, jeudi-vendredi-samedi 11h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Wang Du : « Je vois le monde comme une succession de maladies »

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