Par un arrêt du 4 décembre 2024, la Cour de cassation illustre l’appréciation du caractère excusable d’un vendeur demandant l’annulation d’une vente pour erreur sur les qualités substantielles.
France.À l’été 2024, l’exposition « Les Chevaux de Géricault » au Musée de la vie romantique (Paris) a agité les experts et le monde de l’art quant à l’attribution de certaines œuvres en mains privées de l’artiste romantique Théodore Géricault. Le même Géricault se retrouve aujourd’hui sur le devant de la scène judiciaire avec un « grand » arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2024.
Les faits à l’origine de ce contentieux résultent d’une situation banale, celle d’une dame qui a souhaité mettre aux enchères une toile à la provenance ancestrale. Une société de ventes s’est vu confier la toile ainsi que les archives familiales qui rappelaient que ses ascendants avaient défendu Géricault et son chef-d’œuvre du Radeau de la Méduse (1818-1819) aujourd’hui conservé dans l’aile Denon du Musée du Louvre. Or la société de ventes s’est bornée à décrire l’œuvre comme une « huile sur toile “Visage alangui”, XIXe siècle, 46 x 56 cm » et l’a estimé entre 200 et 300 euros. Le 3 juin 2015, l’œuvre a été acquise par une célèbre galerie parisienne pour un montant de 50 000 euros. Sept jours plus tard, celle-ci l’a revendue à un marchand pour 90 000 euros, avant que celui-ci ne la revende à son tour, cinq jours plus tard, au prix de 130 000 euros.
Face à cette multiplication par 520 du prix et ayant peut-être l’amer sentiment d’avoir été « dupés » par le marché, les héritiers de la dame – décédée en 2016 – ont assigné la société de ventes et la galerie en annulation de la vente pour erreur et en responsabilité. Il est vrai que la jurisprudence est particulièrement protectrice des intérêts des personnes qui s’aventurent sur le marché de l’art. Celle-ci repose notamment sur les dispositions de droit commun qui offrent la possibilité aux intéressés de demander l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités « substantielles » (« essentielles » depuis la réforme du droit des contrats en 2016), même si la jurisprudence en la matière n’est pas toujours accueillante et que la faute inexcusable de l’acquéreur est susceptible d’écarter son action. C’est ce point qui est au cœur du litige rapporté.
En effet, les juges sont particulièrement sévères sur le caractère « excusable » du vendeur, à savoir une erreur que l’on ne pouvait pas éviter avant de conclure un contrat (article 1132 du Code civil). En matière artistique cela implique généralement de procéder à des expertises complémentaires pour que l’erreur du vendeur ne soit pas considérée comme « inexcusable ». Ce qu’a d’ailleurs pu affirmer la Cour de cassation à propos d’une statuette chinoise en terre cuite présentée comme d’époque Tang (31 mars 1987) ou par la cour d’appel de Versailles à propos de fauteuils d’Eileen Gray (4 mars 2005). C’est également la vision retenue par la cour d’appel de Paris qui a débouté, le 20 avril 2023, les héritiers au motif que l’erreur de la dame était inexcusable et faisait donc obstacle à la reconnaissance de l’erreur. Ces derniers se sont alors pourvus en cassation.
Grand bien leur en a pris puisque la Cour de cassation a infirmé de manière très nette la position d’appel. Pour la Haute Juridiction, « l’erreur du vendeur sur les qualités substantielles de la chose vendue n’est une cause de nullité du contrat que dans la mesure où elle est excusable ». Aussi « tel est le cas si le vendeur a transmis tous les éléments en sa possession au professionnel chargé de la vente en s’en remettant à son avis et que celui-ci n’a pas procédé aux recherches qui auraient permis d’éviter cette erreur ». En disposant des archives familiales et donc de l’ensemble des jalons intellectuels, la société de ventes aurait dû s’interroger sur l’identité de l’auteur de la toile et aurait dû procéder à des recherches complémentaires. En ne le faisant pas, l’erreur de la dame ne pouvait qu’être excusable. Il y a donc fort à parier que la cour d’appel de renvoi, qui va devoir rejuger l’affaire, s’incline et annule la vente sans pour autant se prononcer sur l’auteur réel ou supposé de la toile.
Mais la portée de la décision de la Cour de cassation va encore plus loin. Au regard de l’article L. 321-17 du Code du commerce et du recueil déontologique des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, une société de ventes a « un devoir de transparence et de diligence à l’égard du vendeur tout au long du processus de vente et il lui apporte tous les éléments d’information dont il dispose pour éclairer sa décision quant aux conditions de mise en vente de l’objet concerné ». Aussi, les juges d’appel avaient écarté sans raison valable la responsabilité de la société de vente alors qu’elle avait connaissance des liens importants entre la famille de la venderesse et Géricault. En d’autres termes, elle n’avait pas tenu compte des obligations qui lui incombaient préalablement à la vente. Là encore, l’affaire sera prochainement rejugée sur ce point.
La motivation du caractère « excusable » de l’erreur par les juges du quai de l’Horloge qui s’articule autour d’une approche in concreto (spécifique) – et non in abstracto (générale) – ne trouvera pas à s’appliquer automatiquement à d’autres situations similaires. Néanmoins, elle doit susciter l’attention des maisons de ventes quant aux contrôles minutieux qu’elles doivent réaliser sur les documents transmis par leurs clients-vendeurs pour détecter d’éventuels doutes sur l’identification des œuvres. Il en va de la préservation de leur responsabilité.
En creux demeure une interrogation : comment expliquer cette envolée pécuniaire de la toile sous le feu des enchères ? Certains « yeux » ont assurément compris que celle-ci était peut-être de la main du génie romantique ou à tout le moins élaborée par un peintre de renom, comme l’a montré l’affaire du « Poussin du Louvre ». Des histoires qui rappellent que le marché de l’art est peut-être le dernier « marché » non régulé où le « délit d’initié artistique » serait encouragé.
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Seule l’erreur excusable annule une vente aux enchères
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Seule l’erreur excusable annule une vente aux enchères