FRANCE
Dénicher un chef-d’œuvre dans une cave, un vieux grenier ou même un somptueux salon : tel est le rêve de tout commissaire-priseur, marchand ou expert. Mais découvrir un trésor ne suffit pas, il faut ensuite l’authentifier et scénariser sa découverte, pour espérer voir s’envoler les enchères.
C’est en se rendant dans la maison d’une septuagénaire, en Vendée, que le commissaire-priseur Aymeric Rouillac repère un tableau dans le salon. « Ah, ça ? C’est mon petit ange », lui répond la vieille dame, ajoutant que son restaurateur pensait à une école anglaise. Intrigué, Aymeric Rouillac a le réflexe d’envoyer la photo du tableau à l’expert Stéphane Pinta.
« Quand je l’ai reçu, j’ai pris un choc dans la figure. Je l’ai appelé immédiatement en lui disant : “Vous avez un tableau de Le Nain sensationnel !” Il ne m’a pas cru au début. » C’est ainsi qu’après plusieurs mois de recherches, l’œuvre, classée Trésor national, sera identifiée comme L’enfant Jésus méditant sur les instruments de la Passion, des frères Le Nain, adjugée 3,6 millions d’euros en juin 2018.
Des histoires comme celle-ci, il en existe des dizaines. Mais pour que le rêve devienne réalité, que l’intuition se confirme et aboutisse – peut-être – à une vente d’exception, un travail de longue haleine est toujours nécessaire. Car « trouver » un trésor ne vaut rien, si celui-ci n’est pas jugé authentique. Et encore faut-il ne pas passer à côté. C’est en feuilletant le catalogue d’une vente chez Azur Enchères Cannes, en février 2010, que Bertrand Gautier et Bertrand Talabardon sont attirés par un tableau représentant une chouette sur un arbre sans feuilles, estimé 80 à 100 euros. Ils reconnaissent l’artiste – Caspar David Friedrich –, enchérissent jusqu’à 420 000 euros et revendent l’œuvre à un collectionneur privé. Traquer les œuvres non ou mal attribuées dans les catalogues de ventes fait partie du travail des marchands, mais leurs découvertes, intervenant dans le cadre de ventes privées, restent souvent secrètes.
Dans bien des cas, ce n’est pas la découverte instantanée d’une seule personne, mais plutôt la collaboration de plusieurs : un commissaire-priseur fait le tour d’une demeure à l’occasion d’un inventaire, est interpellé par une œuvre dont les propriétaires ne savent rien. Sur un pressentiment ou par prudence, il en réfère à un expert spécialisé, « un réflexe obligatoire », estime l’expert en tableaux anciens Éric Turquin.
Pour apporter la preuve de l’authenticité de l’œuvre découverte, il faut la documenter rigoureusement. Recherches approfondies en bibliothèque, consultations d’historiens d’art et de restaurateurs, imageries radiographique ou infrarouge… : le parcours est souvent semé d’embûches. Quand Aymeric Rouillac voit, un jour, un coffre en laque servant de bar dans un pavillon du Val de Loire, il a une intuition. « J’ai compris que j’étais face à un objet fou. Je n’en dormais plus la nuit, mais personne n’y croyait ! » Pendant quatre mois, il mène seul l’enquête, au Centre des archives diplomatiques de La Courneuve ou dans les archives de la VOC (Compagnie hollandaise des Indes orientales). Il retrace ainsi le parcours du meuble jusqu’à prouver qu’il s’agissait du coffre de Mazarin, adjugé 7,3 millions d’euros par le Rijksmuseum d’Amsterdam en 2013.
Lorsque Stéphane Pinta reçoit l’image du panneau qui s’avérera être le Christ moqué de Cimabue, découvert lors de l’inventaire d’une maison compiégnoise, il n’a lui non plus aucune idée de ce dont il s’agit. « Une discussion avec un spécialiste italien nous a orientés vers la peinture primitive et le format atypique de l’œuvre nous a mis sur la piste de l’artiste. Puis nous sommes tombés sur un des panneaux de même format de La Vierge à l’Enfant, issu d’un diptyque composé de huit parties, de Cimabue, conservé à la National Gallery à Londres », se souvient maître Dominique Le Coënt, fondateur du groupe Actéon, en charge de la vente à Senlis. Stéphane Pinta a pu comparer avec la copie du dos du panneau de Londres et a constaté que la même galerie de vers traversait les deux panneaux. Il a ainsi apporté la preuve que le panneau découvert provenait du même ensemble et donc du même artiste.
Une fois l’enquête bouclée, vient le temps de révéler la trouvaille au public, avide de nouveauté et de sensationnel. C’est l’étape du « storytelling », l’histoire du « bar à papa » dans un pavillon du Val de Loire redevenu « coffre de Mazarin » ou de l’œuvre que ses propriétaires prenaient pour une vulgaire icône accrochée au-dessus de la plaque de cuisson qui s’est révélée être un Cimabue. Des histoires comme celles-ci, il en existe d’autres, comme celle de ce buste en bronze placé en haut d’une armoire d’une maison bourgeoise, qui avait le statut de « portrait d’ancêtre » auquel personne ne prêtait attention et qui a finalement été identifié par l’expert en sculpture Alexandre Lacroix comme étant le buste de Paul Phélypeaux, seigneur de Pontchartrain, attribué au sculpteur du roi Francesco Bordoni et vendu 3 millions d’euros en novembre 2019 chez De Baecque. Ou ce vieux cendrier posé sur une commode d’un château du Val de Loire qui s’est révélé être une gourde en porcelaine du XVIIIe ayant appartenu à l’empereur Qianlong (adjugée 5 millions d’euros en 2018 chez Rouillac).
Le lieu insolite de la découverte ajoute au rêve. Trouvée dans la cave d’une maison de l’Ouest parisien où elle séjournait depuis au moins cinquante ans, la toile Le Prophète d’Odilon Redon a été adjugée 260 350 euros le 28 mai chez Beaussant Lefèvre. Repéré dans un placard de cuisine d’une maison de vacances, un simple plat s’avéra être une porcelaine de Chine bleu et blanc d’époque Yongle (début XVe) vendue 384 750 euros chez Sotheby’s en 2010. « Il servait quotidiennement aux propriétaires qui n’avaient aucune idée de ce dont il s’agissait. À ce moment-là, on devient le Père Noël ! », s’amuse Christian Bouvet, directeur du département d’arts d’Asie chez Sotheby’s Paris.
Une fois la pièce authentifiée, vient l’annonce de la découverte aux médias. Le moment est important et solennel, et participe du battage médiatique, ou non, de la vente à venir, et donc de la valeur marchande finale de la découverte. Le tableau des Le Nain a été présenté dans le cloître de la cathédrale de Chartres, tandis que certaines œuvres ont même le droit à un « tour du monde ». Avant d’être exposé en France, le Caravage de Toulouse a été présenté à Londres à la Galerie Colnaghi, puis à New York à la Galerie Adam Williams, au moment des grandes ventes d’art contemporain. Une stratégie bien huilée quand on sait que de plus en plus d’acheteurs de tableaux anciens sont des collectionneurs d’art contemporain.
Puis vient le jour de la vente. « Le timing doit être serré car, selon moi, la vente aux enchères ne produit des effets exceptionnels que lorsque l’on garde une tension. Si la vente est programmée quatre ans plus tard, on épuise la communication et les acheteurs ne sont plus dans la passion de la découverte », estime Dominique Le Coënt. Le jour J, la mise en scène est cruciale. Une salle spéciale est parfois réservée, comme celle du manège Ordener à Senlis pour le Cimabue, qui a permis d’accueillir près de sept cents personnes. Pour le Caravage, maître Marc Labarbe avait quant à lui loué une salle de spectacle, La Halle aux grains à Toulouse, dans laquelle il avait fait installer des écrans géants, avec caméras montées sur grues et micro posé sur le marteau, soit « deux ans de préparation et 150 000 euros de frais, remboursés par le vendeur puisque la vente a finalement eu lieu de gré à gré. »
Mais pour que la découverte reste gravée dans les mémoires, il faut un prix délirant à la clé. C’est ce qu’il s’est passé pour le Cimabue, adjugé 24,1 millions d’euros en octobre 2019 pour devenir le tableau primitif le plus cher du monde, ou pour La Chasse au taureau sauvage (1855) de Raden Saleh, trouvée par maître Ruellan dans une cave et vendue à Vannes 7,2 millions, soit quarante-huit fois l’estimation basse. Même coup d’éclat pour le Philosophe lisant de Fragonard, disparu depuis plus de deux cents ans et découvert par maître Antoine Petit (Enchères Champagne) dans le salon d’un appartement de la Marne, pourtant bien visible, mais ses propriétaires n’y prêtaient aucune attention. La toile, estimée 1,2 million, s’est vendue 7,6 millions d’euros le 26 juin 2021.
Et lorsque l’œuvre est adjugée à l’un des plus grands musées du monde, à l’instar de La Vierge et l’Enfant en trône (vers 1350) du maître de Vyšší Brod, découverte par hasard dans une maison bourguignonne et adjugée 6,2 millions d’euros chez Cortot et Associés (Dijon) au Metropolitan Museum de New York en novembre 2019, alors c’est le Graal ! À la Tefaf de Maastricht, en 2016, la Galerie Talabardon & Gautier expose L’Odorat de Rembrandt, un tableau non identifié repéré dans une vente du New Jersey. Sa mise à prix : 250 dollars. La galerie fait alors grimper les enchères jusqu’à 870 000 dollars et revend le tableau pour plus de 3 millions au collectionneur américain Thomas S. Kaplan. « Il y a une prime sur les découvertes, car le marché aime la chair fraîche », souligne Éric Turquin. En 2017, un lot de vingt-huit objets chinois retrouvés dans plusieurs malles dans un grenier en Normandie, rapportés de Chine en 1946 par le grand-père, a rapporté 1,7 million à la famille sur une estimation de 118 000 euros. « Sortis du grenier, jamais passés sur le marché, cela joue énormément, car c’est ce qu’on promet à nos acheteurs asiatiques en France et c’est ce qui les excite ! », confirme la commissaire-priseur Camille de Foresta (Christie’s Paris). Quand, en plus, l’estimation est attractive, « on déchaîne l’engouement des acheteurs », observe Dominique Le Coënt.
« C’est vraiment le sel de notre métier, on vit pour cela ! », s’exclame Éric Beaussant. Si les découvertes viennent d’abord enrichir la connaissance du corpus d’un artiste – la sanguine identifiée comme un dessin inédit du Bernin par le cabinet de Bayser, vendue 1,9 million d’euros chez Actéon Compiègne le 21 mars 2021, agrandit le nombre de figures académiques de l’artiste, dont seulement sept sont connues dans des institutions muséales –, et si elles font basculer la vie du vendeur, le « découvreur » voit sa notoriété, sa crédibilité et sa cote de confiance considérablement renforcées. « Du jour au lendemain, les gens arrivent à l’étude et vous disent : “Je veux vendre chez vous” », confie Dominique Le Coënt. « On m’appelle aujourd’hui plus facilement qu’auparavant pour me confier des objets plus importants. Et j’ai gagné le respect de mes confrères en réussissant à garder le Caravage à Toulouse », ajoute Marc Labarbe. Car une chose est désormais sûre : ces petits miracles démontrent qu’avec la puissance des médias et d’Internet, de l’opiniâtreté et un travail d’expertise poussé, on obtient les mêmes prix à Dijon, Épernay ou Senlis qu’à Paris, Londres ou New York. Tout en étant la preuve que « la France reste un grenier extraordinaire et que l’on peut encore y découvrir des trésors », se réjouit maître Antoine Petit.En trente ans, en France, « les découvertes se sont intensifiées et je pense qu’elles vont continuer à se multiplier », prophétise Éric Turquin. Et d’expliquer : « Grâce à Internet, mais aussi parce que, depuis la loi de 1992 libéralisant les sorties d’œuvres d’art, les propriétaires ne craignent plus de vendre une œuvre importante au risque de se faire spolier par les musées. » Auparavant, ces derniers s’étaient arrogé un droit de regard sur chaque œuvre sortant du pays, se gardant la possibilité de l’acquérir pour les collections publiques, à un moindre coût. « Si on spolie les propriétaires, il n’y a plus de découverte ! »
Découverte dans le placard d’un appartement du 7e arrondissement de Paris par maîtres Éric Beaussant et Pierre-Yves Lefèvre à l’occasion d’un inventaire, cette verseuse à décor ciselé de fleurs et d’oiseaux en argent rehaussé d’or (Chine, vers 1680) a été identifiée par les deux commissaires-priseurs comme étant la seule pièce d’orfèvrerie connue à ce jour offerte à Louis XIV par les ambassadeurs du roi de Siam lors de leur visite en 1686. Portant les numéros d’inventaire du garde-meuble de la Couronne, « ces marques nous ont permis de retrouver l’objet dans les inventaires royaux ». Miraculeusement épargnée des fontes massives, elle est restée dans le garde-meuble royal jusqu’aux dernières ventes révolutionnaires de janvier 1797, avant de retourner sur le marché. Classée Trésor national, la verseuse a été vendue de gré à gré au château de Versailles en 2017 pour 1 million d’euros.
Un Caravage dans un grenier à Toulouse
En 2014, « quand j’arrive dans le grenier d’une maison toulousaine, je découvre cette toile, très sale, qu’une fuite d’eau a abîmée sur le côté droit. Je constate quand même qu’elle est de qualité et pense que c’est une école caravagesque, représentant Judith tranchant la tête d’Holopherne. J’envoie la photo à Stéphane Pinta qui me répond que j’ai trouvé un beau tableau », se souvient Marc Labarbe. Dix jours plus tard, l’œuvre arrive au cabinet Turquin, à Paris, qui, après de longs mois de recherches, l’attribue au Caravage. En 2016, après avoir été classé Trésor national, le tableau est révélé au public tandis qu’en novembre 2018, l’État délivre son certificat d’exportation. Prévu pour être vendu aux enchères le 27 juin 2019, assorti d’une estimation de 100 à 150 millions d’euros, il est finalement acquis deux jours plus tôt, de gré à gré. L’acheteur serait le milliardaire et collectionneur américain James Tomilson Hill.
Titulaire d’une maîtrise en droit privé et ancien élève à l’École du Louvre, Éric Turquin est reçu en 1977 à l’examen de commissaire-priseur. De 1977 à 1979, il effectue un stage chez l’expert en tableaux anciens Paul Touzet, avant de rejoindre Sotheby’s Londres où il occupe, de 1985 à 1987, le poste de directeur du département des tableaux anciens. En 1987, il crée le cabinet d’expertise Turquin à Paris. Membre du Syndicat français des experts professionnels depuis 1990, il collabore avec de nombreuses maisons de ventes françaises et étrangères. À l’origine de plusieurs découvertes, comme le Caravage de Toulouse, le Cimabue ou encore le panneau du maître de Vyšší Brod, le cabinet Turquin réalise 12 000 à 15 000 expertises par an, contre 6 000 à 8 000 il y a cinq ans. « Nous avons beaucoup investi dans la documentation et possédons 20 000 ouvrages et 600 000 photographies. Depuis toujours, j’ai cherché à faire de mon bureau une machine à faire des découvertes. Mais c’est seulement depuis quatre ou cinq ans que je récolte les fruits de ces quarante ans de travail. Ces découvertes ne sont pas le fait d’une seule personne mais d’une équipe : Éric Turquin, Stéphane Pinta, Jean-Pierre Cuzin et Philippine Motais de Narbonne. »
19 œuvresdes Arts incohérents dans une malle
Mandaté en 2018 par des particuliers pour expertiser des tableaux en région parisienne, le galeriste Johann Naldi – qui a par le passé retrouvé un Courbet et un carnet de Delacroix – découvre dans une malle dix-neuf œuvres des Arts incohérents (XIXe), dont il ne restait aucune trace hormis dans les catalogues. Un véritable sauvetage d’œuvres destinées à la déchèterie. Parmi elles, le monochrome Combat de nègres, pendant la nuit, de Paul Bilhaud, comportait à l’arrière une inscription : Arts incohérents, 4, rue Antoine-Dubois, 4, Paris. « Cela m’a aiguillé dans mes recherches, car ce ne pouvait être que l’exposition du même nom qui a eu lieu à partir du 1er octobre 1882. » Les œuvres ayant été classées Trésor national en mai, l’État a donc 30 mois pour les acquérir – le Musée d’Orsay serait intéressé. Entre-temps, l’ensemble, estimé 10 millions d’euros, fera l’objet d’une publication début 2022 et d’une présentation au public.
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Ces redécouvertes qui emballent le marché de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Trésor oublié dans la malle… Ces redécouvertes qui emballent le marché de l’art