Le Museé des beaux-arts de Lyon propose une lecture politique de l’œuvre de l’artiste romantique, longtemps cantonné sous l’étiquette de « peintre des chevaux ».
LYON - Lors de sa dernière rétrospective aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris en 1991, l’artiste romantique Théodore Géricault se voyait imputer « l’invention du réel », ainsi que le précisait le titre de l’événement. Débarrassé de son étiquette de « peintre des chevaux » par le commissaire Régis Michel, son œuvre gagnait en gravité. Aujourd’hui, le spécialiste de Géricault et commissaire de l’exposition, Bruno Chenique, hisse l’artiste au rang des peintres d’histoire, en qualité d’observateur du premier quart du XIXe siècle, une période politiquement instable et particulièrement violente. « Géricault. La folie d’un monde », présentée au Musée des beaux-arts de Lyon, offre une vision résolument politique de la trop brève carrière du peintre, lequel n’a eu de cesse de peindre la folie environnante.
Pour étayer son propos, Bruno Chenique s’est fondé sur cinq portraits de malades atteints de psychose partielle – des monomanes –, cinq toiles longtemps considérées comme une anomalie dans l’œuvre du peintre. Leur origine fait encore débat : les uns les ont prises pour des œuvres de commande par le docteur Georget, indûment désigné comme médecin chef à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, pendant que d’autres y ont vu l’exercice thérapeutique du peintre en proie au mal du siècle, la mélancolie. Bruno Chenique a pour sa part clairement fait sienne la théorie d’Esquirol, l’un des premiers psychiatres, et rapporté la monomanie aux conséquences de la Révolution, lesquelles, « en affranchissant des millions d’individus dont le sort était autrefois scellé à la naissance, avaient accru le nombre des monomaniaques atteints d’une ambition irrationnelle, à la fois victimes exemplaires et prophètes de la modernité ». Dans une scénographie intimiste, principalement peuplée d’esquisses et d’œuvres sur papier – certains chefs-d’œuvre ne peuvent voyager comme Le Radeau de la Méduse –, Géricault est le témoin, mais aussi le critique, de la folie de son siècle déclinée en quatorze thèmes : l’ambition napoléonienne, la violence révolutionnaire, le désir, la douleur de la perte, le racisme…
Alors que l’époque ne jurait que par le rationalisme, la déraison prenait de l’ampleur dans le pays. Guillotines, mises à mort, assassinats politiques ou rétablissement de l’esclavage contribuent à un climat de terreur et de misère à l’origine de traumatismes. Situés en toute fin du parcours de l’exposition, les Monomanes présentent le visage de la folie. Pour des raisons techniques, seuls trois des cinq portraits existants sont ici exposés. La Monomane de l’envie, La Monomane du jeu et Le Monomane du vol n’expriment ni la violence ni la fougue des compositions précédentes, mais ils réussissent à créer une tension par leur seul regard, hagard. Si certains thèmes sont plus éloquents que d’autres – la section sur les portraits très classiques du peuple, censée annoncer les Monomanes, détonne –, l’ensemble permet de savourer toute la sensualité et l’énergie revendicatrice de l’œuvre de Géricault, et ce malgré quelques ratés au niveau de l’éclairage.
Une interprétation raciale
Maladroit, car sans doute trop subtil dans sa volonté de créer des allégories, Géricault se distingue par son intérêt pour l’individu et sa réalité. Une démarche qui atteint son paroxysme avec les Fragments anatomiques (1818-1820), où des membres humains fraîchement découpés forment une nature morte des plus incongrues. La dimension politique de ce tableau paraît évidente, tant celui-ci témoigne d’une barbarie quotidienne. Certains grinceront des dents devant l’interprétation raciale du Radeau de la Méduse proposée par le cartel, où le personnage métis situé au sommet de la composition symboliserait l’avenir d’une France multicolore. « Il y a des surinterprétations qui font sens », estime Bruno Chenique. Les réfractaires le seraient-ils autant si la toile datait de 2006 ? Et, revenant au propos général de l’exposition, cette démonstration fait-elle de Géricault un peintre d’histoire ? Peut-être, mais d’une histoire vue à travers le filtre de la subjectivité.
Jusqu’au 31 juillet, Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 30 30, www.lyon.fr, tlj sauf mardi et jours fériés 10h-18h, 10h30-20h le vendredi. Catalogue, éd. Hazan, 240 p., 150 ill., 35 euros, ISBN 2-7541-0098-89.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Géricault sombre dans la folie
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Bruno Chenique, historien de l’art indépendant, et Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon - Nombre d’œuvres : 135 (34 huiles, 84 œuvres sur papier, 15 lithographies, 1 moulage en plâtre, 1 sculpture en pierre) - Nombre de salles : 14
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°237 du 12 mai 2006, avec le titre suivant : Géricault sombre dans la folie