Justice - Ventes aux enchères

Succession

Responsabilité du commissaire-priseur dans la prisée

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 1010 mots

Un commissaire-priseur qui procède à une mauvaise évaluation d’une œuvre lors d’un inventaire successoral engage sa responsabilité et doit indemniser l’héritier lésé dans la répartition des lots.

Ils pensaient être en possession de deux exceptionnels lavis sur papier de Picasso, l’un représentant Dora Maar (1942) et l’autre une tête de femme (1940). Mais il n’en était rien. Pourtant, au décès de leur père et mari, six héritiers s’étaient vus confirmer par un commissaire-priseur judiciaire renommé, Me Hervé Poulain, l’authenticité et la très haute valeur des deux lavis : 250 000 euros chacun. Quatre ans plus tard, la maison de ventes Artcurial, par l’entremise d’un directeur de département et d’un spécialiste, fixait même leur valeur entre 500 000 et 700 000 euros pièce. La déconvenue des héritiers arriva pourtant fort rapidement, lorsqu’une société de conseil en gestion de patrimoine émit des doutes sur l’authenticité des œuvres. Moins d’un an après la dernière évaluation d’Artcurial, le processus judiciaire s’enclenchait avec la désignation d’un expert par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, à la demande de la veuve du défunt, afin de conforter ou non l’authenticité des deux œuvres.

Des faux grossiers
Mais le rapport rendu par l’expert judiciaire déclassa sans réserve les deux œuvres. Ainsi, « il ne s’agit pas de lavis originaux peints de la main de Pablo Picasso. Il s’agit de reproductions (sérigraphies “Héliogravures“) des deux œuvres originales figurant dans le “Zervos” [le catalogue raisonné de référence de Picasso, établi avec l’artiste], qui ont été peintes par un faussaire, au lavis d’encre. Ces lavis ont été faits dans l’intention de tromper. Leur valeur est nulle ». Le TGI de Paris retenait alors, le 25 novembre 2015, la responsabilité du commissaire-priseur judiciaire et de la maison de ventes en relevant qu’en « procédant à l’examen d’œuvres d’art attribuées à un peintre particulièrement célèbre, qui se sont révélées être inauthentiques au moyen d’un simple contrôle visuel, ont cru pouvoir en établir un descriptif et une estimation de nature à garantir, sans la moindre réserve, leur authenticité et à entretenir ainsi une croyance erronée ».

La procédure portée en appel, de nouveaux éléments confortant l’expertise judiciaire ont émergé. Ainsi, les deux lavis originaux appartiennent à la collection du Musée national Picasso et ce, depuis la dation des héritiers de l’artiste en 1979 afin de régler les droits de succession dont ils devaient acquitter. Surtout, ces deux dessins sont issus d’un carnet et n’en ont jamais été séparés. L’origine des deux faux serait alors à rechercher dans un fac-similé du carnet, publié par les éditions Cahiers d’art en 1948 et tiré à 1 200 exemplaires. Tirées du fac-similé, les deux reproductions auraient ainsi été rehaussées au lavis, un fond de lithographie étant perceptible sous la couleur. Le défunt ayant acquis en galerie les deux reproductions dix ans après l’entrée des originaux dans la collection du musée, le défaut d’authenticité des œuvres est confirmé par la cour d’appel de Paris le 22 novembre dernier.

Obligation de moyens
L’intervention d’un commissaire-priseur, judiciaire ou volontaire, dans une succession ouverte s’avère souvent nécessaire lorsqu’il s’agit de valoriser l’actif successoral, parfois constitué de nombreuses œuvres d’art, de permettre la répartition des lots entre héritiers et enfin de calculer les droits fiscaux dont chacun doit s’acquitter. Si l’inventaire successoral se réalise régulièrement sous la responsabilité du seul notaire qui le dresse, la cour rappelle que « le commissaire-priseur qui est appelé à évaluer les biens meubles le constituant peut engager sa responsabilité vis-à-vis des héritiers dès lors qu’il est démontré qu’il a commis une faute et que celle-ci est en relation directe avec un préjudice éprouvé par lesdits héritiers ». Il est donc nécessaire, en pareille hypothèse, de prouver que le commissaire-priseur a violé l’obligation à laquelle il est soumis, dont la nature est ici de moyens, et que les héritiers ont subi un préjudice, résultant alors du paiement de droits fiscaux indus.

Un examen superficiel
Rappelant, à l’instar du TGI, la cote considérable de Picasso et les diligences nécessaires à réaliser, la cour considère que le commissaire-priseur « ne pouvait ainsi se contenter pour donner une estimation des œuvres litigieuses qui nécessairement impliquait qu’il vérifiât préalablement leur authenticité, d’un examen superficiel et rapide, ainsi que d’un unique certificat établi en 1992, soit quinze ans auparavant, par M. Cézanne, au demeurant dans des conditions qu’il ignorait complètement ». Un simple contrôle visuel réalisé au regard d’un certificat d’authenticité ancien était nettement insuffisant, selon la cour, pour le professionnel qu’est le commissaire-priseur et constitue alors une négligence fautive dont il doit répondre. Des investigations complémentaires auraient dû être accomplies et les spécialistes de l’artiste sollicités. Le commissaire-priseur n’étant qu’un généraliste et non pas un spécialiste de tout ce qui peut faire l’objet d’une estimation, il doit être conscient des limites de ses compétences.

Considéré comme fautif, le commissaire-priseur judiciaire doit alors dédommager la veuve du défunt, à laquelle furent attribués deux lots de valeur nulle lors du partage successoral et pour lesquels elle dut payer 50 000 euros de droits successoraux. La cour conforte les calculs retenus à ce titre par le tribunal, soit un préjudice de plus de 425 000 euros, auxquels s’ajoute un préjudice moral, évalué à 8 000 euros, « compte tenu de la qualité et de la notoriété de Maître Poulain, des tracas auxquels [la veuve] a été confrontée en raison du caractère erroné de sa prisée ». Quant à l’appel en garantie dirigé à l’encontre de la société Artcurial par son président d’honneur, une telle demande a été rejetée par la cour, infirmant la décision de première instance. Le notaire avait appelé à ses côtés Maître Poulain en sa qualité de commissaire-priseur judiciaire et non l’opérateur de ventes volontaires.

Les décisions concernant un inventaire et une prisée successoraux défaillants sont fort rares. L’engagement de la responsabilité des commissaires-priseurs, judiciaires ou volontaires, dans pareille hypothèse ne fait l’objet que d’un intérêt très épisodique de la part des juridictions. Le présent arrêt de la cour d’appel de Paris rappelle ainsi les diligences attendues de la part de ce professionnel lors de son intervention dans une succession.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Responsabilité du commissaire-priseur dans la prisée

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