La frontière floue entre les ventes volontaires et les ventes judiciaires suscite de nombreux débats auxquels la cour d’appel de Paris a récemment mis un terme dans son arrêt du 31 mars dernier.
À l’occasion d’un contentieux opposant la maison de ventes Artcurial à la chambre de discipline de la compagnie des commissaires-priseurs judiciaires de Paris, la cour d’appel de Paris est revenue sur la distinction entre les ventes aux enchères volontaires et les ventes aux enchères judiciaires.
En principe, « prescrit par la loi ou par décision de justice », selon l’article 29 de la loi du 10 juillet 2000, la vente aux enchères judiciaire relève de la seule compétence des commissaires-priseurs judiciaires ainsi que des huissiers et des notaires.
Cependant, un débat existe sur l’interprétation de cette disposition. Selon une interprétation stricte, seules les ventes judiciaires forcées, comme les saisies ventes, relèveraient des ventes judiciaires. Alors qu’un courant d’interprétation plus large auquel appartient la chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires considère que les ventes judiciaires peuvent aussi être qualifiées de ventes judiciaires volontaires, c’est-à-dire réalisées à l’initiative du propriétaire du bien avec une autorisation du juge, comme lors des ventes faites par les héritiers bénéficiaires d’inventaires ou celles des meubles de majeurs protégés lorsque le juge le prescrit tel qu’en l’espèce.
Dans cette affaire, une mère et son fils ont souhaité mettre en vente treize bronzes d’Alberto et de Diego Giacometti. Un inventaire fut réalisé par un commissaire-priseur judiciaire en vue d’une vente judiciaire prévue fin mai 2016. Mais la mère étant sous tutelle, la vente fut soumise à l’autorisation du juge des tutelles du tribunal d’instance de Courbevoie qui, par ordonnance du 6 juin 2016, autorisa le mandataire judiciaire à la protection des majeurs en sa qualité de tuteur à confier à la société Artcurial la réalisation de la vente aux enchères volontaire avec un prix de réserve pour chaque œuvre visée dans le mandat.
Considérant qu’il s’agissait d’une vente judiciaire relevant du monopole des commissaires-priseurs judiciaires, la chambre de discipline a alors engagé une action en référé d’heure à heure devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris à l’encontre d’Artcurial afin de l’interdire sous astreinte de procéder à la vente des œuvres devant avoir lieu le 14 septembre 2016. Déboutée de ses demandes, les œuvres furent vendues par Artcurial pour un montant de 2 869 200 euros.
Le 5 septembre 2018, la chambre fut de nouveau déboutée de ses demandes sur le fond par les juges du tribunal de grande instance de Paris, selon qui « la circonstance que [la vente] ait pu être soumise à autorisation du juge des tutelles ne lui confère pas un caractère judiciaire ». Ainsi, la vente étant volontaire, Artcurial ne pouvait être responsable des faits qui lui étaient opposés.
La chambre de discipline interjeta alors appel de la décision considérant qu’Artcurial avait violé le monopole des commissaires-priseurs judiciaires. Elle sollicitait, en outre, le versement de plus de 15 000 euros au titre de son préjudice patrimonial résultant de la privation des cotisations qu’elle aurait perçues sur la vente et des cotisations correspondant à la couverture de la responsabilité professionnelle, ainsi que 30 000 euros au titre de son préjudice moral.
C’est dans ce contexte tumultueux que la cour d’appel a affirmé qu’une vente aux enchères à l’initiative d’un mandataire judiciaire comme un tuteur et ayant reçu l’autorisation d’un juge constitue incontestablement une vente judiciaire.
Tranchant en faveur de l’interprétation large de la loi du 10 juillet 2000, la cour a précisé que « si le juge des tutelles, dans le cas où il est saisi à défaut de conseil de famille, décide que les modalités de la vente seront celles d’une vente aux enchères publiques avec, le cas échéant, une mise à prix mais également un prix de réserve qu’il peut imposer contrairement à ce que soutient à tort la société Artcurial, celle-ci doit être qualifiée de vente judiciaire ».
En outre, elle retient que la protection de l’intérêt de la majeure protégée est mieux assurée par un juge des tutelles confiant la vente à un commissaire-priseur judiciaire dont l’activité est contrôlée par ses pairs et le procureur de la République. Ceci d’autant plus, que les frais à la charge du vendeur ou de l’acquéreur sont réglementés et moindres que ceux retenus par Artcurial qui in fine « nuit aux intérêts du vendeur » puisque « l’acquéreur inclut nécessairement le montant de ces frais dans ce qu’il est prêt à payer et enchérit moins haut ».
Enfin observant que la vente devait à l’origine être réalisée par un commissaire-priseur judiciaire, la cour a condamné Artcurial au versement des 15 000 euros sollicités au titre du préjudice matériel subi par la chambre de discipline, ainsi qu’aux frais de justice et aux dépens.
Reste à savoir quel sera l’impact de cette décision sur les débats parlementaires de la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art qui, pour l’heure, étend les facultés des opérateurs de ventes volontaires aux inventaires successoraux et aux ventes des biens des personnes sous tutelle.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les contours affirmés de la vente aux enchères judiciaire
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : Les contours affirmés de la vente aux enchères judiciaire