Galerie

Métamorphoses

ORLAN, haut les masques

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2014 - 803 mots

PARIS

À la galerie Michel Rein, l’artiste présente une nouvelle série de ses « Self-Hybridations », des photographies de portraits grimés et masqués.

PARIS - En 1965, ORLAN décide de sortir du cadre, toute nue. Un vrai cadre en bois, baroque, avec un centre ovale dont elle s’extirpe dans une acrobatique contorsion du corps. La performance est immortalisée par une petite photo (10 x 7 cm) Tentative pour sortir du cadre : elle est réalisée avec peu de moyens, mais se révèle une œuvre fondatrice. Le cadre, le corps, déjà. Et la photographie bien sûr.
Près de cinquante ans plus tard, ORLAN est restée fidèle à ses réflexions originelles comme en témoigne cette nouvelle série d’œuvres regroupées sous le titre « Masques, Pekin Opera facing designs & réalité augmentée ». Soit un nouvel épisode des « Self-Hybridations », commencées avec les Self-Hybridations précolombiennes (en 1998), puis africaines (2003) et indiennes-américaines (2005). En somme des selfies modifiés, avant l’heure. Mais si entre ces deux dates, ORLAN a toujours aimé se libérer des corsets (buste nu, encadrement), elle n’en est pas moins restée attachée aux thèmes récurrents qui constituent la colonne vertébrale de toute sa démarche. Et donc notamment cette question du cadre : elle a eu beau le traverser, le contourner, le retourner, le déconstruire, elle n’en a jamais fait une complète abstraction. En toute logique pour une artiste qui a toujours fait de la tête et du visage la figure centrale du tableau. Le cadre comme symbole doré de tout ce qui formate et enferme et « qu’il ne faut pas intégrer, banaliser, oublier, sinon c’est la catastrophe, mais au contraire avec lequel il faut jouer, qu’il faut détourner, casser, traverser. Car il faut toujours avoir conscience des cadres qui nous régissent », précise ORLAN.

La différence à fleur de peau
De même le masque. Il n’est qu’un prolongement, qu’une déclinaison, une variation du visage, grand sujet d’ORLAN, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, cet objet de déguisement a toujours fait partie de ses préoccupations. Dans une vie antérieure à celle d’artiste plasticienne, elle fut actrice et même, ce qu’on sait peu, premier prix de tragédie au conservatoire de Saint-Étienne (sa ville natale), lorsqu’elle était adolescente. Longtemps intéressée par Bertolt Brecht et principalement par son principe théâtral de la distanciation, cette façon de casser l’illusion avec le public, ORLAN ne pouvait qu’être attirée par les masques de l’Opéra de Pékin : non seulement elle a régulièrement travaillé avec des masques depuis les années 1960, aussi bien ceux du théâtre nô que d’autres plus populaires, mais ces masques chinois se distinguent nettement puisqu’ils sont peints à même la peau (ce qui n’avait évidemment pas échappé à Brecht). Ils sont donc symboliquement et plastiquement très différents. En effet, loin de donner à voir l’expression, par définition figée, caractéristique des autres cultures, ils sont eux constamment animés par les mimiques et grimaces de celui qui les exhibe. Une aubaine pour ORLAN qui a toujours fait de son corps, de son visage et de son épiderme, les supports même et les matériaux d’expérimentation de son travail. Il est clair que l’artiste s’en est donnée à cœur joie, non pas en se maquillant – ce n’est pas le sujet – mais en se grimant via photoshop. Toujours dans sa volonté d’inscrire cette série dans une continuité, elle réussit même ici à conjuguer son visage au cadre, autrement dit à mettre sur le même plan – frontalité oblige – le sujet et son entourage. Elle se mêle en effet aux fonds pour mieux s’y confondre et jouer à fond la carte du mimétisme et du camouflage, autres formes de mutations, de métamorphoses, d’hybridation. Une façon de poser une nouvelle fois la question de la frontière, de l’identité, de l’altérité.
Enfin, pour continuer à suivre le fil des nouvelles technologies qu’elle a toujours su dérouler de façon avant-gardiste, ORLAN a doté ses nouvelles œuvres d’un volet interactif avec le principe inédit de réalité augmentée. Une application pour smartphones et tablettes permet ainsi de la voir en mouvement devant ses nouvelles œuvres et notamment, une fois de plus, de sortir de leurs cadres. L’histoire continue…

Les prix eux sont bien réels et pas augmentés, qui vont de 1 100 euros pour une sculpture (éditée à 50 exemplaires) qui montre ORLAN jouer avec les masques de l’Opéra de Pékin, jusqu’à 71 000 euros pour une œuvre historique, une photo d’une opération chirurgicale de 1986. Entre les deux, les photos (édition de sept tirages) de sa nouvelle série sont à 16 000 euros. Pas de quoi hurler au loup pour une artiste de cette importance, aux engagements radicaux et à la carrière exemplaire.

ORLAN

Nombre d’œuvres : 18, dont 10 photos récentes et 8 autres de 1965 à 2014
Prix : entre 11 000 et 71 000 €
Art Index 2014 : 54

ORLAN. Masques, Pékin opera facing designs & réalité augmentée

Jusqu’au 18 octobre, Galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne, 75003 Paris, tél.01 42 72 68 13, www.michelrein.com, mardi-samedi 11h-19h.

Légende Photo :
ORLAN, Facing design n°6 avec vrille en réalité augmentée, 2014, self-hybridation avec masque de l'opéra de Pekin, tirage pigmentaire sur papier Fine Art Baryta, cadre bois, plexiglas, réalité augmentée, 110 x 110 cm. Courtesy de l'artiste et galerie Michel Rein, Paris/Bruxelles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : ORLAN, haut les masques

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