Dans le cadre de notre rubrique consacrée à un métier de la culture, nous vous invitons aujourd’hui à découvrir celui d’expert en œuvres d’art.
Sollicités par des particuliers, des compagnies d’assurance, des salles de ventes, des musées, des tribunaux, les douanes ou des salons d’antiquaires, la plupart des experts sont des indépendants exerçant une profession commerciale (ils sont alors antiquaires ou marchands de tableaux) ou libérale. Mais, par-delà ces aspects, comment définir ce professionnel du marché de l’art ? “L’expert est celui qui se trompe le moins”, répond avec humour Armelle Baron, spécialiste de la peinture flamande et hollandaise du XVIIe siècle, et présidente de la Confédération européenne des experts d’art (Cedea). Difficile en effet de circonscrire une profession qui n’est ni reconnue ni réglementée en France, et dont le statut est en pleine mutation et discussion (1). Dans le flou juridique actuel, “n’importe qui, comme le mentionne à juste titre la Chambre nationale des experts spécialisés (CNES), peut s’intituler expert”. Pour séparer le bon grain de l’ivraie au sein des 10 000 experts actuellement en activité, plusieurs critères entrent en ligne de compte : la réputation, le choix d’une spécialité pointue – “pour être compétent, mieux vaut avoir un champ d’expertise limité”, souligne Armelle Baron –, certains titres (expert agréé par le Cour de cassation, expert près la cour d’appel, assesseur de la Commission des douanes), et surtout l’appartenance à une organisation professionnelle sérieuse et rigoureuse dans la sélection de ses membres. C’est notamment le cas de la Chambre nationale des experts spécialisés (CNES), du Syndicat français des experts professionnels (SFEP) et de la Compagnie nationale des experts (CNE) (voir l’encadré). L’union faisant la force, ces trois syndicats se sont fédérés pour créer, en 1988, la Cedea (2). Pour parer à l’absence de réglementation, celle-ci a élaboré un code de déontologie. La mission de l’expert y est ainsi décrite : ce “spécialiste est susceptible de déterminer la nature, l’origine et l’époque de fabrication de l’objet d’art ou de collection soumis à son jugement ; détecter les altérations, transformations et réparations subies éventuellement par cet objet ; indiquer la fourchette de valeurs moyennes”. Authentification, identification et estimation, telles sont les trois facettes du métier. Dans l’expertise d’une œuvre, “le coup d’œil est primordial”, explique Armelle Baron. On ne l’acquiert qu’après avoir vu des milliers de tableaux ou objets. “Il faut dans un premier temps se frotter à ce qu’il y a de plus beau, c’est-à-dire observer les chefs-d’œuvre conservés dans les musées”, conseille l’expert.
Solliciter le spécialiste de l’artiste
Mais l’analyse visuelle n’étant pas infaillible, toute expertise doit s’accompagner de recherches approfondies. Dans le cas d’un tableau, “il ne faut pas hésiter à solliciter le concours du spécialiste de l’artiste”, souligne Armelle Baron. Et d’ajouter : “Dans le doute, mieux vaut s’abstenir”. Car le certificat d’expertise engage la responsabilité de l’expert pour une longue durée : dix ans en vente publique et trente ans dans une expertise de gré à gré (3).
Pour plus de sûreté, ce dernier peut s’adjoindre les services d’un laboratoire. Selon Gilles Perrault, spécialisé dans le dépistage des faux et contrefaçons artistiques, “la seule analyse stylistique n’est plus concevable aujourd’hui. L’expert doit connaître les matériaux des objets qu’il expertise et, pour y parvenir, se familiariser avec les techniques d’analyse scientifique”. Stigmatisant “l’expertise de grand-papa”, uniquement fondée sur l’examen visuel, cet ancien restaurateur des musées nationaux a créé son propre laboratoire. “Il y a trente ans, il était difficile de devenir expert si l’on ne faisait pas partie du sérail. Ce n’est plus le cas à présent”, poursuit-il. Faute de formation spécifique, les voies pour y parvenir restent toutefois nébuleuses. Certains experts ont fait des études d’histoire de l’art et de muséologie – parfois à un niveau très poussé, à l’image de Gilles Perrault, diplômé de l’École Boulle, de l’École du Louvre, des universités de Paris-I et Paris-IV, du Centre de restauration de Rome (Iccrom)… –, d’autres sont des autodidactes ou d’anciens professionnels du marché de l’art. Les seuls à recevoir une formation complète et ciblée sont les postulants de la CNES. Mais, pour être admis par son conseil d’administration, il faut avoir exercé au moins dix ans dans le marché de l’art (période qui peut être ramenée à sept ans si le candidat possède un diplôme de second cycle universitaire). Soucieux de diversifier l’enseignement proposé par la Chambre, son président, Vincent de La Celle, met actuellement sur pied un institut de formation initiale et continue (4). Piloté par un comité pédagogique constitué de juristes, conservateurs de musées, experts et journalistes, cet organisme proposera notamment des cours de droit ou de fiscalité. Son ouverture est prévue pour janvier 2004
(1) En témoigne la récente proposition d’imposer aux experts souhaitant apporter leur concours aux ventes aux enchères l’agrément du Conseil des ventes volontaires, agrément optionnel selon la loi du 10 juillet 2000. Cette initiative a été très décriée dans le milieu.
(2) La Cedea regroupe également les membres de la Chambre belge des experts d’œuvres d’art (CBEOA).
(3) L’expert ayant une obligation de moyens et non de résultats, son erreur n’entraîne pas automatiquement sa responsabilité, si ses investigations ont été judicieuses et s’il a su montrer de la prudence.
(4) Les autres syndicats de la Cedea pourraient adhérer à ce projet.
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L’œil de l’expert
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Abonnez-vous dès 1 €- La Chambre nationale des experts spécialisés en objets d’art et de collection (CNES), 48 rue Duranton, 75015 Paris, tél. 01 45 58 18 00, www.experts-cnes.fr (anciennement www.franceantiq.fr/cnes)
- Le Syndicat français des experts professionnels (SFEP), 1 rue Rossini, 75009 Paris, tél. 01 40 22 91 14, www.sfep-experts.com.
- La Compagnie nationale des experts (CNE), 10 rue Jacob, 75006 Paris, tél. 01 40 51 00 81 ou 01 40 51 87 37.
- La Confédération européenne des experts d’art (Cedea), qui regroupe le SFEP, la CNES, la CNE et la CBEOA, tél. 01 42 22 78 15.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°177 du 26 septembre 2003, avec le titre suivant : L’œil de l’expert