KOERICH / LUXEMBOURG
La galerie Ceysson & Bénétière met à profit la grande superficie de son espace luxembourgeois pour accueillir une exposition de l’artiste américain, dont une série inédite récente.
Koerich (Luxembourg). Aujourd’hui âgé de 85 ans, Frank Stella est un artiste majeur, dont le nom, d’abord associé au minimalisme, appartient à l’histoire de l’art. Une star. C’est en quelque sorte ce que symbolise, trônant au fond du vaste hangar de la galerie Ceysson & Bénétière, sa monumentale étoile de métal étincelant, pesant six tonnes et cinq millions d’euros (*), qui aimante le regard (Monel Star, 2017, voir ill.). La plongerait-on au fond des abysses pendant des années qu’elle en ressortirait intacte, car l’alliage de nickel dont elle est composée résiste parfaitement à la corrosion. Et même si chacun des profilés qui la constitue laisse deviner par d’imperceptibles irrégularités le geste de la main qui l’a fraisé et poli, la sculpture impressionne par sa dimension et son poids colossal que supportent trois pieds seulement. À la façon d’un trou noir, elle absorbe toute la matière autour d’elle.
C’est à partir de ce point central que se révèlent, dans une sorte d’incessant va-et-vient, les autres œuvres de l’exposition. Celle-ci s’est élaborée au fil de plusieurs années : il a fallu convaincre l’artiste américain, quand bien même Bernard Ceysson s’intéresse de près à son travail depuis l’une des premières acquisitions qu’il fit, au cours des années 1980, en tant que directeur du Musée de Saint-Étienne. À l’autre extrémité de l’espace est accroché un tableau de très grand format (Karpathenburg II - FS635, 1996) dont la trame complexe crée l’illusion d’un relief. Frank Stella, on le sait, n’a cessé de bousculer la définition de la peinture et de sa « physicalité ». Cette toile, sortie des réserves de la galerie, le rappelle, autant qu’elle assume de tenir la comparaison, dans sa planéité, avec le diamant géant qui lui fait face.
De la sculpture à la peinture, le regard se tourne ensuite vers une série de variations réalisées entre 1984 et 1988 à partir de deux ensembles de gravures, conjuguant peintures et collages, superpositions graphiques qui là encore, hésitent formellement entre le tableau et l’œuvre tridimensionnelle. Cette volonté de « construire la peinture et de peindre dessus », selon les mots de Stella, est au cœur de la série la plus récente exposée ici. La série « Salmon Rivers of the Maritime Provinces » date de 2020 et prouve que l’artiste est loin d’avoir épuisé son sujet. Sept pièces sur douze sont présentées, obéissant au même dispositif : une sorte de potence industrielle (subsistent ici et là des étiquettes, des codes, des marquages…) supporte un assemblage polychrome, tuyauterie compacte, résine et acier, qui évoque les viscères d’un animal aquatique ou le moteur d’un bolide, dont les surfaces sont recouvertes d’ailleurs avec une peinture de carrosserie. Les couleurs bariolées éclatent : jaune acide, rouge, bleu, vert ; le châssis figuré par l’établi métallique sur lequel ces rutilantes calligraphies sont embrochées cadre le regard, lequel s’échappe pour considérer ces objets sous tous les angles. C’est ainsi que Stella nous place dans l’espace de son œuvre ; l’expérience est exaltante. Les titres (The Grand Cascapedia, The Restigouche…) se réfèrent directement à la géographie (terre, lacs et rivières) d’une région du Québec, portant en eux l’imaginaire de la pêche, de l’enfance, des souvenirs en vignettes ou de ce que l’on voudra y voir, puisque l’abstraction chez Frank Stella ouvre à tous les possibles.
(*) Contrairement à ce que nous avons écrit dans le JdA n°586, son prix est de 5 M€ et non de 6 M€.
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L’inventivité intacte de Frank Stella
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : L’inventivité intacte de Frank Stella