Quatorze femmes artistes qui ont contribué à l’histoire de l’art minimal sont rassemblées par la galerie Thaddaeus Ropac. Certaines ont percé, comme Vera Molnar, d’autres sont restées dans l’ombre. Une occasion de (re)découvrir leur travail.
Pantin (Seine-Saint-Denis). Voilà trois ans que Thaddaeus Ropac s’est positionné sur le segment historique de l’art minimal. En 2017, il avait en effet inauguré sa galerie de Londres avec une exposition de pièces emblématiques, signées Carl Andre, Dan Flavin, Sol LeWitt, Richard Serra… issues de la collection Marzona. En 2019, il renforçait cette position par l’annonce de sa représentation de l’œuvre de Donald Judd, alors que se tenait dans son espace de Pantin « Monumental Minimal », rassemblant à nouveau, et de façon spectaculaire, quelques-uns des artistes américains ayant marqué l’art du XXe siècle. Mais où étaient les femmes ? C’est en substance l’interrogation que la commissaire et galeriste new-yorkaise Anke Kempkes a soumise au marchand autrichien, question à laquelle elle répond par l’exposition actuelle. Anke Kempkes avait déjà assuré en 2019 le commissariat de « Wherein Lies the Space » consacrée à Rosemarie Castoro (1939-2015, voir ill.), pionnière de l’art minimal dont la Galerie Thaddaeus Ropac venait tout juste de récupérer l’estate. Si Castoro figure toujours dans la sélection, « Dimensions of Reality : Female Minimal » réunit cette fois-ci quatorze femmes artistes, la plupart méconnues ou tombées dans l’oubli. L’idée est de souligner le rôle qu’elles ont joué au sein de leurs communautés artistiques, afin de leur redonner leur place dans la chronologie officielle. On le sait, cette démarche est dans l’air du temps. On ne s’en plaindra pas dans la mesure où c’est l’occasion, comme ici, de renouveler les perspectives historiques et de faire quelques découvertes saisissantes.
Qu’il s’agisse de Lucia Moholy (1894-1989), photographe du Bauhaus éclipsée par le travail de son mari László Moholy-Nagy et par la négligence coupable de Walter Gropius, qui effaça son nom des archives de l’école, ou de Marlow Moss (1889-1958) née « Marjorie », dont le style réplique de façon troublante les trouvailles de Mondrian, et parfois les précède, on peut quasiment parler de « réhabilitation ». Cependant leur présence reste discrète dans cette exposition collective qui comporte quelques tirages de petit format réalisés par la première et des études par la seconde – où l’on voit l’importance que Moss accordait aux mathématiques dans ses compositions, quand Mondrian, plus intuitif, se montrait assez rétif à cette rigueur théorique. Paradoxe savoureux.
En majesté dans le show avec trois grandes peintures et deux installations, Rosemarie Castoro s’y impose en figure majeure. Forest of Threes (rythmée par plusieurs séquences de trois éléments, d’où son titre) occupe le centre de l’espace et aimante le regard par l’équilibre surréaliste de ses sculptures radicales et délicates, totems hérissés enracinés entre ciel et terre. Mais l’exposition vaut aussi pour les liens tissés de la Sarde Maria Lai (1919-2013), ou le rapport au paysage de Mary Miss (née en 1944) – avant qu’elle n’opte pour des interventions plus urbaines. On découvre les sculptures à l’assaut de la gravité de Magdalena Wiecek (1924-2008), les architectures de fils et d’aplats colorées de Lydia Okumura (née en 1948), les abstractions géométriques sensibles de Shizuko Yoshikawa (1934-2019)…
Les provenances géographiques et les héritages culturels très divers des artistes nourrissent la richesse du propos, qui permet d’apprécier leur contribution à l’art de leur temps, mais également la façon dont elles ont su s’émanciper des dogmes. À ce titre, le travail de Kazuko Miyamoto (née en 1942) trouble par son audace et sa sensualité. Qu’elle pose nue, en yogi renversée et masquée d’un loup noir devant une sculpture de Sol LeWitt (dont elle fut l’assistante) ou qu’elle déploie à la façon d’une chevelure un éventail tissé de fils de laine, son interprétation de la grille minimale est toujours subversive. Côté prix, sans surprise, ceux de Castoro attestent de sa reconnaissance en cours : jusqu’à 750 000 euros quand les premiers prix commencent à 5 000 euros.
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Les pionnières de l’art minimal
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Les pionnières de l’art minimal